“Je décidai qu'un jour j'épouserais Martin, parce que l'homme idéal était pour moi celui qui m'évitait le spectacle de la marche du monde ».
Luise est encore une petite fille lorsqu'elle prononce cette phrase à propos de son meilleur ami Martin. Les deux comparses forment un duo inséparable, et ni les parents de Luise, ni sa grand-mère Selma, ni le père de Martin n'y peuvent rien changer. Dans leur village loufoque, les deux petites têtes blondes s'abreuvent de rêves et de magie, et s'adonnent à un jeu quotidien ; dans le train les menant à l'école, ils connaissent le paysage par coeur, arbre, champ, maison, et, pendant que l'un ferme les yeux et récite son panorama, l'autre valide. Mais y a-t-il pire danger que les habitudes dont on ne se méfie pas ? Et s'il était impossible d'échapper au spectacle de la marche du monde … ?
Tout se joue donc dans ce village de Westerwald qui, tous les jours, vit sous la menace d'une terrible annonce qui, lorsqu'elle tombe, s'abat sur les habitants comme l'éclair sur une étable isolée de campagne ; fatalement et non sans ravages. Pire qu'un gros nuage noir menaçant, que le ciel s'assombrissant et l'air se gonflant à en devenir lourd, lourd, bien trop lourd, il est un présage dont il faut se méfier : l'okapi que Selma voit en rêve.
L'okapi est un animal étrange, bizarrement constitué et plutôt disgracieux de composition que personne n'a jamais vu et pourtant, la seule évocation de son nom suffit à chambouler chacun des habitants de Westerwald : déclarer sa flamme, quitter son mari, avouer son amour, quand l'okapi pointe le bout de son nez, les couards se voient confier un courage sans nom. Cette phobie paralysante est à l'image de ses habitants et de leurs drôles d'habitude ; qu'il s'agisse de marquer au sol les endroits stratégiques à éviter dans la maison, d'écrire des lettres d'amour mille fois raturées et mille fois recommencées, de quitter sa famille pour enfin partir en voyage au bout du monde ou de venir du bout du monde pour prier, rien n'a de sens à Westerwald.
Et si c'était ça, le secret ? S'il fallait que rien n'aille ensemble, s'il fallait que tout soit fou, qu'on craigne les zèbres-chevaux, qu'on craigne les déclarations d'amour, s'il fallait attendre, si les portes s'ouvraient sur la mort en plein voyage, si six moines répondaient au téléphone avant qu'on ait le bon interlocuteur, s'il fallait cinq verrous à sa porte ?
« On ne peut pas toujours choisir les aventures pour lesquelles on est fait ».
Le rêve de l'okapi est absurde, tout autant que l'est la vie – n'ayons pas peur de nos rêves et tâchons d'accomplir notre vie et de vivres nos expériences autant que faire se peut. Et si le tout est disgracieux, alors qu'il en soit ainsi, car la sagesse n'est pas dans les livres, la vérité non plus ; toutes deux nous entourent…
« Comment il s'appelait, déjà, celui qui a dit que tout le monde ferait mieux de rester chez soi ?
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Blaise Pascal.
- Non, l'autre.
- Ah, le docteur Maschke. »