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Critique de JeanLouisBOIS


L'insaisissable Franz Kafka.

Franz Kafka meurt de tuberculose le 3 juin 1924 à l'âge de 41 ans. Sa célébrité sera posthume. Gérard-Georges Lemaire nous livre ici une biographie de l'auteur tchèque d'expression allemande sur la base de sa correspondance avec ses amis, ses fiancées et sa famille ainsi que sur celle de ses familiers entre eux. Il s'en dégage de nombreux aspects de la personnalité de Kafka qu'on peut essayer de regrouper en trois grandes orientations, trois grands pôles d'intérêt permettant de mieux appréhender la vie de l'auteur et, peut-être, de mieux cerner la complexité de son oeuvre. On considérera Kafka sous l'angle de la judéité, puis de l'indécision et enfin de l'écrivain.

Né dans une famille juive peu pratiquante, Franz Kafka gardera toute sa vie des liens avec sa communauté d'origine. A Prague, il fait partie de la minorité juive germanophone. Élève brillant, studieux et plein d'humour, il devient docteur en droit comblant ainsi les espérances d'ascension sociale de son père. Cependant, il entretient des relations d'amour-haine avec ce père (à qui il adressera une lettre mémorable), relations rééquilibrées par la bonté et la tendresse de sa mère. Sa relative indifférence religieuse ne doit pas masquer son attachement à la culture juive. En effet, à partir de 1910, il se passionne pour le théâtre yiddish et rêve de participer à l'essor du sionisme. La religion et la culture juive traversent donc l'ensemble de sa vie en laissant indiscutablement une tache indélébile dans son esprit.

Malgré les aspects brillants de sa personnalité (humour, séduction, faconde, amitiés), Kafka demeure un homme insatisfait et indécis. Affirmer, juger, trancher lui semble presque surhumain (ce qui peut expliquer en partie ses relations avec un père autoritaire et sûr de lui). Il ne sait jamais exactement ce qu'il veut et ce qu'il ne veut pas et souvent il donne l'impression de vouloir un peu des deux à la fois. Parfois, il lui paraît nécessaire et confortable que les autres choisissent pour lui. Que ce soit pour son métier, pour se séparer de ses fiancées, pour quitter Prague ou pour déménager, tout se passe pour Kafka comme si les obstacles de la vie quotidienne ne valaient pas la peine qu'on se donne pour les surmonter. Ainsi, apparaissent déjà entre l'homme Kafka et le monde qui l'entoure une sorte d'incompatibilité physique, d'incompréhension ontologique.

Malgré toutes ces considérations, il y a un domaine sur lequel Kafka ne transige pas : la littérature. En effet, s'il donne pleine satisfaction comme agent d'assurances, la seule chose qui compte réellement à ses yeux demeure fondamentalement l'écriture. Il cherche d'abord à être reconnu comme écrivain, comme créateur, comme artiste … mais principalement auprès des siens, de ses amis, de ses fiancées, de ses familiers : il ne cherche à être reconnu que des gens qu'il connaît et apprécie, il fait preuve alors d'humour, de drôlerie et de bonhommie. Parfois, il n'hésite pas à faire des lectures publiques dans lesquelles il excelle en sachant capter et fasciner son auditoire. Ses publications de son vivant resteront toujours confidentielles et on doit à Max Brod la vulgarisation de son oeuvre contre la volonté du testament. Cependant, cette passion littéraire l'a possédé toute sa vie et à l'article de la mort, sur son lit de tuberculeux, il rédige, il corrige et continue de façonner ses romans. Véritablement, il s'épanouit par la littérature, il ne vit que pour l'écriture et c'est en ce sens que l'on peut parler de la sincérité de Kafka : il est totalement engagé dans son oeuvre.

Comme tous les écrivains majeurs, Kafka a façonné une littérature bien trop riche et trop complexe pour espérer être saisie dans son intégralité. Cette biographie apporte cependant un éclairage complémentaire sur son oeuvre même si en ne faisant appel qu'à sa correspondance et son journal intime, elle ne s'appuie que trop rarement et de façon elliptique sur ses romans et ses nouvelles. C'est ce qui demeure pour moi la limite du livre de Lemaire : le coeur de l'héritage que Kafka nous a légué (bien malgré lui !) reste en périphérie sans correspondance bien marquée entre les péripéties de sa vie et la façon dont il les « met en fiction ». Cette lacune est à mon goût préjudiciable car la lecture de de la Métamorphose, du Château et du Procès par exemple montre l'importance du rapport entre la biographie de l'homme-Kafka et l'interprétation, la déformation que lui fait subir le créateur-Kafka ainsi que l'oppression qu'il ressent devant une vie somme toute banale et peu remarquable. G.-G. Lemaire aurait peut-être dû nous indiquer des pistes , originales de préférence, pour essayer de comprendre un peu mieux, ou un peu moins mal, l'auteur tchèque, mais il nous laisse avec une biographie « sèche », sans fioritures, qui, même si elle nous donne envie de relire Kafka, nous laisse seul avec notre pauvre capacité de se mesurer aux sommets de l'art de Kafka.
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