Citations sur Contes des royaumes oubliés, tome 2 : Le prince cygne (6)
— Le monde va mal, c'est vrai. Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Pour tout vous avouer, je doute parfois qu'il y en ait un, de demain. Mais en attendant nous sommes là, vous, moi... Et si le monde va mal, tant pis, nous irons bien sans lui.
Les monstres ne venaient pas de la forêt. Les monstres, c'étaient eux-mêmes.
—Tu devrais peut-être t’arrêter, tu sembles sur le point de t’endormir.
—Mais… Un dernier chapitre ?
Le ton était si suppliant que le musicien laissa échapper un rire et lui tapa le dessus de la tête du bout de son fifre.
—Non ! La nuit ne durera pas éternellement… Et je sais très bien qu’il n’y a pas de chapitres !
—Détail…
—Et si tu me résumais plutôt ce que tu as appris ?
—Je savais que tu n’écoutais rien !
—Je plaide coupable, avoua Ode en levant les mains. Mais franchement, je suis impressionné par ta concentration. J’espère que tu ne lisais pas ce genre de livre quand tu avais dix ans…
—Oh non, ceux que je lisais avaient des sommaires.
—Ça t’est vraiment resté en travers de la gorge, hein ?
Amoureux ? s’admonesta-t-il en pensée. Amoureux ? Oui, bravo, Siegfried, comme si c’était le moment… Et de lui, entre tous, de lui si beau, si extraordinaire… si maudit. Bon choix, Siegfried, vraiment.
—C’est drôle, laissa échapper le prince maudit.
—Quoi ?
—Au début, je ne t’imaginais pas comme ça. Je veux dire… La première fois que nous nous sommes rencontrés, tu étais couvert de sang. La deuxième fois, tu n’as fait que me parler du passé, de la guerre et de responsabilités. J’avais fini par t’imaginer sombre, austère, et, euh… un peu brute sur les bords. Ce n’est que la dernière fois, lorsque je t’ai vu danser, que je me suis dit que je m’étais peut-être trompé…
Il craignit un instant de l’avoir vexé – il savait manquer de tact – mais Siegfried lui adressa un regard surpris et pouffa de rire.
—Toi aussi, tu es un poil différent de celui que j’avais imaginé, avoua-t-il, hilare. Un peu moins pur et délicat.
—Tu vas finir par me faire croire que c’est moi la brute dans l’histoire, s’amusa Ode, secrètement ravi.
Siegfried courait. Il ne savait pas pour où, il ne savait pas depuis quand, il ne savait que ce qu’il fuyait : un champ de bataille, une terre gorgée de sang, les formes déchirées des corps entassés et le visage de sa meilleure amie au milieu des cadavres, éclaboussé de boue pourpre, les yeux grands ouverts, fixes, si fixes…
Il essayait de courir plus rapidement que les larmes qui barraient ses joues de cicatrices argentées, à la fois brûlantes et glacées. S’il allait assez vite, peut-être qu’elles finiraient par s’arracher, qu’il réussirait à les semer, elles et toute la douleur, toute la violence et l’absurdité…
Mais nul ne courait assez vite pour ça.