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Citations sur La clef à molette (29)

Je n'ai pas bondi ; par suite d'une vieille habitude que j'ai de me contrôler et qui fait que mes secondes réactions précèdent toujours les premières [...].
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Si l'on fait exception des moments merveilleux et singuliers que le destin peut nous réserver, le fait d'aimer son travail – qui est, hélas, le privilège de peu de gens – est bien ce qui peut donner la meilleure idée et la plus concrète du bonheur sur terre. Mais c'est là une vérité qui n'est guère connue.
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Affirmer que les mêmes causes produisent les mêmes effets: c'est une invention de tous ceux qui ne font pas les choses eux-mêmes, mais les font faire par d'autres. (p.209).
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Quand un ouvrage est bien conçu il est tout naturellement beau. (p.149).
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Seulement, moi, mes rêves, j'aime qu'ils se réalisent; sans ça ils deviennent comme une maladie qu'on traîne toute la vie après soi, ou comme une cicatrice qui, chaque fois que le temps tourne à l'humide, recommence à vous faire mal. (p.10).
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"Ce qu'il lui faudrait, à Tino, a dit Teresa, ce serait une gentille fille, vous ne pensez pas ? Nous y avons pensé, nous, Dieu sait combien de fois, et nous avons même souvent essayé de la lui trouver. Ca semblerait même facile, parce que lui aussi est gentil, que c'est un travailleur, qu'il n'est pas laid, qu'il n'a pas de vices et qu'il gagne bien sa vie. Eh bien, vous ne le croirez pas, nous les faisons se rencontrer, ils se voient, ils se parlent, ils sortent ensemble deux ou trois fois, et puis la jeune fille vient ici et se met à pleurer : fini.
Et on ne comprend jamais ce qui s'est passé ; lui, vous pouvez être sûr qu'il ne parle pas, quant à elles, elles racontent chacune une histoire différente : que c'est un ours, qu'il les a fait marcher pendant six kilomètres sans dire un mot, qu'il prend de grands airs. Bref : un désastre. Et puis ça se sait désormais, on en parle autour de nous, et nous n'osons même plus organiser d'autres rencontres. Il ne pense peut-être pas à son avenir, lui, mais nous y pensons, nous, parce que nous avons quelques années de plus que lui, et nous savons ce que ça veut dire de vivre seuls, et nous savons aussi que pour vivre avec quelqu'un il faut une maison, un domicile fixe, et ne pas courir le monde. Sans ça, un homme finit par devenir sauvage : on en rencontre beaucoup, surtout le dimanche, et on les reconnaît tout de suite, et chaque fois que j'en vois un je pense à Tino, et ça me fait de la peine. Mais vous, je ne sais pas, un soir que vous êtes un peu en confiance, comme ça se produit entre hommes, vous ne lui diriez pas un petit mot ?"
J'ai promis de le faire, et une fois de plus j'ai senti que je mentais. Non, je ne lui dirais pas le moindre "petit mot", je ne lui donnerais pas de conseils, je ne chercherais d'aucune façon à l'influencer, ni à l'aider à se bâtir un avenir, ni à le détourner de celui qu'il était lui-même en train d'édifier, ou que le destin lui préparait. Seul un amour obscur, charnel, un vieil amour comme celui de ses tantes pouvait s'imaginer savoir quels effets auraient découlé des causes, quelles métamorphoses aurait subis le monteur Tino Faussone pourvu d'une femme et d'un domicile fixe. S'il est déjà difficile pour un chimiste de prévoir, en dehors de toute expérience, l'interaction entre deux molécules simples, il est absolument impossible de dire à l'avance ce qui se produira lors de la rencontre de deux molécules modérément complexes. Et que peut-on attendre de la rencontre de deux êtres humains ? Ou des réactions d'un individu devant une situation nouvelle ? Rien : rien de sûr, rien de probable, rien d'honnête. Il vaut mieux se tromper par omission que par commission : il vaut mieux s'abstenir de gouverner le destin d'autrui, alors qu'il est déjà si difficile et hasardeux de diriger le nôtre.

p203-204, édition 10/18.
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" Il a jamais rien fait d'autre que battre la feuille, sauf quand ils l'ont fait prisonnier et envoyé en Allemagne. La feuille de cuivre, et avec le cuivre, vu qu'alors c'était pas encore la mode de l'acier inoxydable, il faisait tout : des vases, des marmites, des tubes, et même des alambics, sans le poinçon des Finances, pour faire de l'eau-de-vie de contrebande. Dans mon pays, parce que moi aussi je suis né là-bas pendant la guerre, tout le monde battait le cuivre ; ils faisaient surtout des chaudrons de cuisine, des gros et des petits, étamés de l'intérieur, parce que chez nous, justement, magnino* ça veut surtout dire étameur, le type qui fait les marmites et qui les étame, et il y a pas mal de familles qui s'appellent Magnino encore maintenant et qui peut-être bien savent plus pourquoi.
" Vous le savez que, quand on frappe le cuivre, il s'écrouit, il devient plus dur ?..."
Oui, je le savais : comme ça en parlant on a découvert que, bien que n'ayant jamais battu la feuille, j'avais moi aussi une longue familiarité avec le cuivre, faite d'amour et de haine, de batailles silencieuses et acharnées, d'enthousiasmes et de fatigues, de victoires et de défaites, et riche d'une connaissance toujours plus profondes, comme il advient des personnes avec lesquelles on vit pendant longtemps, et dont on prévoit chaque mot et chaque geste. Oui, je la connaissais bien la malléabilité féminine du cuivre, métal des miroirs, métal de Vénus ; je connaissais sa splendeur chaude et sa saveur malsaine, la douceur du bleu-vert de ses oxydes et le bleu vitreux de ses sels. Je connaissais bien, au toucher, l'écrouissage du cuivre, et lorsque je l'ai dit à Faussone nous nous sommes sentis un peu parents : quand on le maltraite, c'est à dire quand il est battu, étiré, plié, comprimé, le cuivre fait comme nous, ses cristaux grossissent et il devient dur, rigide, hostile. Je lui ai dit que j'aurais peut-être pu lui expliquer le mécanisme du phénomène, mais il m'a répondu que cela ne l'intéressait pas et m'a par contre fait remarquer que ça ne se passe pas toujours comme ça : de la même manière que nous sommes tous différents les uns des autres et nous comportons différemment devant les difficultés, il y a des matériaux qui gagnent à être battus, comme le feutre ou le cuir, et comme le fer qui lorsqu'on le martèle rejette ses scories, se renforce et devient, précisément, du fer battu. Pour conclure, je lui ai répondu qu'il fallait se méfier des similitudes, parce qu'elles sont peut-être poétiques mais ne prouvent pas grand-chose : aussi faut-il être prudent quand il s'agit d'en tirer des indications pédagogiques et exemplaires. L'éducateur doit-il s'inspirer du forgeron, qui battant durement le fer l'embellit et lui donne forme, ou du vigneron, qui obtient le même résultat avec le vin en le délaissant et en le conservant dans l'obscurité d'une cave ? Vaut-il mieux qu'une mère prenne pour modèle la femelle du pélican, qui s'arrache les plumes et se dénude pour que le nid de ses petits soit plus doux, ou l'ourse, qui les encourage à grimper au sommet des sapins, puis les abandonne et s'en va sans même se retourner ?
D'une éducation rigoureuse ou de celle où prévaut la libre initiative, laquelle est préférable ? Au diable les analogies ! Elles ont corrompu la médecine durant des millénaires, et peut-être est-ce leur faute si aujourd'hui les méthodes pédagogiques sont si nombreuses, au point qu'après trois mille ans de discussion on ne sait pas encore très bien laquelle est la meilleure.

* En dialecte piémontais : étameur, mais aussi chaudronnier. (N.d.T.)
P97-98-99, édition 10/18.
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Le sujet était d'importance, et j'ai vu que Faussone le savait. Si l'on fait exception des moments merveilleux et singuliers que le destin peut nous réserver, le fait d'aimer son travail – qui est, hélas ! le privilège de peu de gens – est bien ce qui peut donner la meilleure idée et la plus concrète du bonheur sur terre : mais c'est là une vérité qui n'est guère connue. Cette région illimitée qu'est la région de la tâche, du boulot, du job, du travail quotidien en somme, est moins connue que l'Antarctique et, par un lamentable et mystérieux phénomène, il arrive que ceux qui en parlent le plus et le plus bruyamment sont justement ceux-là qui l'ont le moins parcourue. Pour glorifier le travail, dans les cérémonies officielles, on a recours à une rhétorique insidieuse, cyniquement fondée sur cette considération qu'un compliment ou une médaille coûtent infiniment moins cher qu'une augmentation de salaire et rapportent davantage, mais il est une autre rhétorique qui s'oppose à celle-là, non point cynique mais profondément stupide, qui tend à dénigrer le travail, à le présenter comme dégradant, comme si l'on pouvait se passer et du nôtre et de celui d'autrui, non seulement dans l'île d'Utopie mais chez nous et à présent : comme si celui qui sait travailler était par définition un esclave et celui qui au contraire ne sait pas , ou ne sait pas bien, ou ne veut pas travailler, était de ce fait un homme libre. Il est malheureusement vrai que beaucoup de travaux ne sont pas agréables, mais il est néfaste de vouloir les juger et les condamner avec une haine préconçue : ceux qui le font se condamnent eux-mêmes pour la vie à détester non seulement le travail, mais à se détester aussi et à détester le monde. On peut et on doit combattre pour que le fruit du travail reste aux mains de celui qui le fait et pour que le travail lui-même ne soit pas un châtiment ; mais l'amour ou la haine du travail sont des données intérieures, originelles, qui dépendent beaucoup de l'histoire de l'individu et moins qu'on ne le croit des structures de production dans lesquelles le travail s'effectue.

P102, édition 10/18.
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En fait, ainsi qu'il existe un art de conter solidement codifié par des milliers d'essais et d'erreurs, il existe également un art d'écouter, tout aussi ancien et estimable, duquel toutefois, pour autant que je sache, les règles n'ont jamais été définies. Pourtant, toute personne qui parle ou raconte sait par expérience que l'auditeur apporte une contribution décisive à ce qu'elle lui dit : un public distrait ou hostile affaiblit n'importe quelle conférence ou leçon, alors qu'un public amical les vivifie. Mais même l'auditeur, en tant qu'individu, a une part de responsabilité dans cette "oeuvre d'art" qu'est tout récit : quiconque raconte une histoire au téléphone s'en rend parfaitement compte et perd de sa chaleur, car les réactions visibles de l'auditeur lui manquent, lequel, dans ce cas, en est réduit à manifester de temps en temps son intérêt éventuel par quelques monosyllabes ou grognements. Et c'est là la raison principale qui fait que les écrivains qui s'adressent à un public incorporel sont peu nombreux.
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Finalement, le réceptionnaire est arrivé à son tour. C'était un petit homme tout noir, habillé de noir, la quarantaine ou presque, avec une épaule plus haute que l'autre et la figure d'un type qui digère mal On aurait même pas dit un Russe : il avait l'air d'un chat malade, oui, d'un de ces chats qui ont la mauvaise habitude de manger des lézards, et alors ils grandissent pas, ils deviennent tristes, se lustrent plus le poil et au lieu de miauler, ils se contentent de souffler. Mais les réceptionnaires sont presque tous comme ça : c'est pas un métier gai, et s'ils ont pas un peu de méchanceté, ce sont pas de bons réceptionnaires ; et s'ils sont pas méchants, ils le deviennent avec le temps, parce que, quand tout le monde vous regarde de travers, la vie es pas facile. Et pourtant, il en faut des réceptionnaires, de la même façon qu'il faut des purgatifs, moi aussi je le comprends.
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