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Je n'aurais sans doute jamais lu : le Christ s'est arrêté à Eboli si je n'avais vu, l'année dernière, l'émission d'Arte sur Matera - ville du Basilicate en Italie - capitale européenne de la culture en 2019. J'avais été fascinée par cette cité aux ruelles tortueuses, accrochée au flanc d'une blanche montagne calcaire. Un paysage d'une beauté sauvage mais aussi d'une parfaite désolation ! Je m'étais jurée de lire le roman de Carlo Levi, assigné à résidence de 10935 à 1936, car antifasciste, dans un village voisin Aliano, devenu dans le roman Gagliano. C'est chose faite et je ne le regrette vraiment pas...
Tout comme l'auteur, je me suis sentie immédiatement sous l'emprise de "cette terre sans consolation ni douceur où vit le paysan dans la misère et l'éloignement, sa vie immobile sur un sol aride face à la mort". Carlo Levi s'est attaché à ces hommes et ces femmes avec une empathie et une humanité qui, pour moi, sont contagieuses. Et son regard de peintre fait surgir, au fil des pages, tout une galerie de portraits de personnages tous plus attachants les uns que les autres. Qu'il s'agisse de Giulia, sa servante, des enfants du village et même de Barone, son chien, tous prennent vie, sous nos yeux, avec une acuité et une présence étonnantes.
Tout aussi attachante est sa verve satirique lorsqu'il évoque les "seigneurs du village", une classe déchue, qui fait peser sur le monde des "cafoni", les paysans, un pouvoir féodal sans faille. Ce monde paysan qui occupe une place essentielle dans le roman, se lève tous les jours à 4 heures du matin pour rejoindre ses champs au bord de l'Agri, une rivière insalubre qui explique la malaria dont est victime cette population rurale déshéritée et résignée à son sort. La seule consolation à laquelle ces paysans puissent se raccrocher : les mythes et légendes qui alimentent bien sûr leurs terreurs mais les orientent aussi vers une sorte de panthéisme primitif où tout est divin. Monde étonnant aussi que celui des "cafoni" où les femmes exercent un matriarcat de fait tout en devant se plier à des règles sociales très strictes, notamment sur le plan des relations hommes/femmes. Caarlo Levi a donc su, dans son roman, faire oeuvre d'historien, d'anthropologue et de portraitiste avec une verve qui ne se dément jamais tout au long du récit.
C'est aussi à son talent de pamphlétaire que je rends hommage, lorsqu'il critique avec une ironie tour à tour enjouée et féroce, ce monde quasi féodal, au sein duquel il a vécu une année. Non moins interpellante est l'analyse politique qu'il fait du rapport que ces paysans du Sud de l'Italie entretiennent avec l'Etat et qu'il évoque en ces termes : "Leur aversion pour l'Etat, étranger et ennemi s'accompagne [...] de ce que, pour eux, devrait être l'Etat : une volonté commune qui se fait loi". Comment ne pas voir les résonances très contemporaines de ce genre de citation...
Pour Carlo Levi, cette expérience de vie dans ce village perdu du Basilicate fut une révélation qui lui a permis de vivre une sorte d'ascèse intérieure. Mais c'est avec une belle lucidité qu'il évoque aussi le poids de la solitude et la coupure douloureuse avec toute une partie de lui-même. Son départ de Gagliano fut donc empreint d'une nostalgie un peu ambivalente...
Je terminerai cette chronique avec cette belle évocation qui vous donnera peut-être envie de lire ce roman comme cela a été le cas pour moi : "Mais sur cette terre sombre, sans péché, et sans rédemption, où le mal n'est pas un fait moral, mais une douleur terrestre, qui existe toujours dans les choses mêmes, le Christ n'est jamais descendu. le Christ s'est arrêté à Eboli".
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En reclassant ma bibliothèque, avec mon nouvel emménagement, je retrouve ce texte autobiographique qui avait été , il y a très longtemps, une grande émotion. de très nombreuses notes sur les usages, les traditions... dans cette région reculée, dans une période historique, âpre

Jeune médecin turinois, membre du mouvement Justice et Liberté, Carlo Levi est exilé, relégué par les autorités fascistes dans une région reculée, la Basilicate, appelée alors Lucanie. Nous sommes dans les années 1930. Là-bas, la malaria décime la population qui vit déjà dans une misère noire. Levi raconte ce qu'il vit, ce qu'il voit. Il peint avec son pinceau et sa plume le portrait d'une région abandonnée à son triste sort et relate le mode de vie de ses habitants, leurs coutumes, leurs croyances, offrant du même coup un témoignage doublement bouleversant entre l'oeil du médecin et celui de l'écrivain...
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Ce livre aurait pu figurer dans la collection Terre Humaine tellement ce récit est avant tout un témoignage ethnographique et en même temps un récit autobiographique.
En 1935, pour ses activités au sein du mouvement Justice & Liberté, Carlo Levi, bourgeois turinois, médecin et peintre se voit « confiné » dans un village de Lucanie (aujourd'hui Basilicate) par les autorités fascistes au pouvoir.
Ce bouquin raconte les deux années qu'il passa là-bas.
Très loin des « aventures » de Don Camillo, l'auteur nous montre l'incurable misère des paysans de ce Mezzogiorno oublié de Rome.
Il décrit les saisons (supportable qu'une dizaine de jours au printemps), les coutumes (sorcellerie notamment) et la Culture (les hommes s'exilant pour gagner leur vie ...), les légendes (dragons, etc.) et l'anticléricalisme des habitants de cette région aride et sujette aux épidémies de malaria.
Il dépeint le mépris réciproque des paysans et des « seigneurs » (petits potentats, fonctionnaires, religieux ...), à peine moins pauvres que les premiers. La résignation des uns, l'impunité des autres. L'auteur se fera néanmoins quelques amis dans les deux camps, l'hospitalité étant la règle de tous temps.
De l'antifascisme de l'auteur il n'est que très peu question ; cette région est indigente et déshéritée depuis des siècles.
L'écriture est claire. Les portraits de tous les personnages sont précis, vivants ; on sent l'artiste-peintre derrière l'écrivain. Les paysages sont décrits de façon expressive, ils sont solaires et minéraux. le ton est fataliste, il n'y a rien à attendre de cette terre, de cette époque non plus.
Un beau témoignage, d'une période pour l'heure révolue, car aujourd'hui le tourisme « nettoie » la pauvreté ... et c'est tant mieux. Allez, salut.
P.S. : J'ai acheté ce livre (2€ à la Bouquinerie du Sart, Villeneuve-d'Ascq) pour lire « local » lors de vacances dans les Pouilles et la Basilicate.
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Carlo Levi : l'homme de convictions.
Pour son implication dans l'opposition antifasciste, il est condamné en 1935 au régime de « confino », contraint à résidence dans un village perdu de Lucanie.

Carlo Levi : l'homme de lettres.
Cette résidence surveillée lui permet de brosser un tableau réaliste d'une population rurale, aigrie entre frustration et pauvreté, un monde fermé aux rapports humains pourris par des haines réciproques, où la petite bourgeoise se livre une lutte interne de pouvoir sans répit, indifférente au quotidien sordide des paysans.

Misère, maladies, (Carlo Levi a une formation de médecin), ignorance et superstitions n'empêchent pas la tradition d'accueil des campagnards du Mezzogiorno, induisant chez le visiteur « obligé » un regard littéraire pétri de compassion et d'humanité.

Cette cohabitation inspirera profondément le peintre écrivain. Il produira de nombreux tableaux de genre « rural » et après sa libération, ce récit détaillé de ces mois de relégation.

J'ai pris beaucoup d'intérêt à ce très ancien conseil amical de lecture.
Une plongée italienne sociale et historique qui restera en mémoire durablement.
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Assigné à résidence pour trois ans par le régime fasciste dans un village désolé du sud de l'Italie, Carlo Levi témoigne de cette expérience d'incarcération hors des murs, de sa difficile adaptation à cet univers rural âpre et immobile, tout en décrivant et analysant avec l'oeil d'un ethnologue et le coeur d'un citoyen le microcosme perdu et miséreux que formait la communauté de Gagliano dans les années trente.
On se coule comme dans des eaux lourdes avec intérêt et fascination dans ce récit statique où la nature est avare, presque hostile, le temps hors du temps et les hommes immuablement inscrits dans un déterminisme résigné.
A Gagliano l'Etat est loin, les paysans ne l'acceptent pas mais n'ont d'autres choix que de se soumettre à l'autorité des médiocres petits bourgeois qui le représentent pour leur propre profit.
Le travail est dur, le pain est rare, l'église vide, l'espoir absent notamment pour les "Américains" rentrés au village après la grande dépression, leurs rêves de richesse envolés.
Les hommes sont mutiques et les femmes fortes comme des arbres. Au milieu d'eux, Levi compose comme il peut entre paysans qui l'adulent pour ses qualités de médecin, représentants de l'autorité qui le surveillent sans relâche et avec défiance, et femmes qui cachent de vives ardeurs sous le poids des traditions. Pour s'échapper et s'occuper, il peint : le village, la nature, mais pas les hommes que leurs croyances ancestrales poussent à craindre de se faire voler leur image.
J'ai beaucoup aimé ce récit hors du temps, qui par certains accents m'a rappelé la saga rurale Les paysans de Ladislas Reymont.
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Italie, annés 30. le fascisme de Mussolini règne sur la péninsule. Carlo Levi, peintre et intellectuel turinois (1902-1975), amis de nombreux artistes comme Pavese ou Modigliani se tourne très naturellement vers un engagement politique anti-fasciste. Cela lui vaut d'être d'abord emprisonné, puis relégué en 1935 dans un village perdu de Lucanie, région déshéritée du Mezzogiorno. La vie au sein cette petite agglomération, nommée Gagliano dans le roman, est pour le citadin et artiste venu du Nord l'occasion d'un choc culturel frontal. Plus que la misère, la désolation et la malaria qui sévissent dans ce petit pays, perdu au milieu de nulle part, habité de quelques notables et d'une majorité de paysans, c'est la différence des mentalités - résignation ancestrale entrecoupée de bouffées de révolte - et de la civilisation, ici pré-chrétienne (ce qui explique le titre), croyant aux esprits, aux bêtes et à la magie, qui frappent son regard attentif et sa sensibilité.
Livre d'un peintre (son activité principale malgré ses études de médecine), le Christ s'est arrêté à Eboli présente d'une série de tableaux très suggestifs et forts qui traduisent son questionnement devant un mode de vie, fruste et archaïque, qu'il n'aurait même jamais imaginé auparavant.
C'est aussi le récit d'un apprivoisement : devant tant de souffrances muettes et de maladies endémiques, l'ancien étudiant en médecine reprend du service pour venir en aide aux familles de paysans. Courtisé par les notables en tant qu'homme cultivé venu de Turin, aimé par les gens simples qu'il soigne et apprend à connaître de mieux en mieux, il n'en vit pas moins dans un tel éloignement de tout ce qui faisait sa vie d'artiste citadin, que la désolation de ces collines arides se communique à lui, et que, malgré ses activités de peintre et de médecin, il finit par souffrir de cette solitude à laquelle rien ne l'avait préparé.

Le roman, dépourvu de trame mais conçu comme une succession de considérations et de descriptions puissantes, comporte une première phase portant sur la découverte de ce monde inconnu et de ses coutumes, puis devient davantage une chronique des événements qui marqueront son auteur pour le reste de sa vie.
La force et la beauté des évocations de ce livre, leur justesse, en font un chef-d'oeuvre devenu un classique, adapté au cinéma par Francesco Rosi.
Lu en V.O.
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Un de mes premiers contacts avec la littérature italienne, il y a fort longtemps. Je dois à ce livre mon amour pour l'Italie, son peuple, sa langue, son histoire.

Un choc, donc, et une émotion profonde que j'ai retrouvée en lisant Lessico famigliare de Natalia Ginzburg, dont le mari, Leone Ginzburg, était un des fondateurs du mouvement Justizia et Libertà auquel appartenait aussi Carlo Levi.

Relégué pour anti-fascisme en Basilicate , à Aliano -ou Gagliano, en dialecte- médecin et peintre, Carlo Levi a croqué de tous les moyens qu'il avait à sa disposition ce petit village oublié des dieux- comme l'évoque le titre du récit.

Plein d'empathie, de tendresse parfois amusée mais toujours respectueuse, Carlo Levi a donné la parole à ces oubliés, à ces humbles qui, à leur tour, ont ouvert leurs bras et leur porte à cet intellectuel menacé, que les autorités fascistes avaient assigné à résidence sur leurs terres arides. C'est là que Carlo Levi demandera à être enterré, bien plus tard, en 1975.

Une belle rencontre, un beau livre et de belles toiles.

Une belle adaptation cinématographique aussi, due à Francesco Rosi, avec le regretté Gian Maria Volonte, tout plein d'une sombre flamme...
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Carlo Levi, intellectuel engagé et artiste peintre, est arrêté en 1935 pour son activité antifasciste. Il est assigné à résidence dans un village isolé de Lucanie au sud de l'Italie. Il rend compte de son expérience dans ce récit publié en 1945. Sa formation de médecin lui permet de venir en aide à une population paysanne d'une grande pauvreté, survivant dans un environnement hostile au climat froid en hiver et sec en été et où la malaria fait des ravages. Il est rapidement accepté par ces hommes et ces femmes naturellement méfiants à l'égard de toute personne venant du nord de l'Italie. Sa bonté naturelle et son absence de jugement lui ouvrent le coeur de ces paysans aux moeurs rudes, superstitieux dans leur rapport à la nature et pour la plupart illettrés. Carlo Levi décrit avec force détails leur quotidien fait de labeurs incessants et rend justice à leur endurance et leur courage, teinté de résignation, avec parfois des éruptions de violence quand l'injustice devient insupportable. Quelques fêtes viennent rompre le défilé monotone des jours et l'isolement de l'auteur. de cette expérience qui l'a profondément marqué, Carlo Levi en tirera la conclusion que la source des problèmes du Sud est l'Etat, plus enclin à taxer les paysans et leur imposer des solutions ineptes, comme la culture du blé sur des terres impropres, que de se pencher sur le sort de ces hommes et de ces femmes ployant sous le joug des podestats locaux qui les saignent à blanc. le départ de l'auteur, libéré au bout d'une année, est un crève-coeur pour les paysans de Gagliano, situé au dernier cercle de l'Enfer. Pour nous aussi, ce départ est un arrachement. Nous quittons comme à regret ces personnes singulières que le récit nous a rendu si proches et que nous avons le sentiment d'abandonner à leur sort.
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La Basilicate est une région italienne qui avait pour nom la Lucanie, notamment dans les années 30. C'est cette région oubliée de l'Italie fasciste qu'a découvert Carlo Levi, alors membre du mouvement Justice et Liberté, pendant son exil. Ce livre retrace tout ce qu'il a observé et ressenti de cette région pauvre ravagée par la malaria et la misère humaine, où les habitants tentent de garder un semblant de vie et de traditions. Il s'agit d'un roman autobiographique où la réalité prend à la gorge!
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Carlo Levi fut mis en résidence surveillée entre 1935 et 1936, pour activité antifasciste, dans un village perdu de Lucanie, terre déshéritée de l’Italie du sud, tellement oubliée et arriérée économiquement, que les paysans pauvres de cette aride terre brûlée par le soleil, ont habitude de dire avec cet air de fatalisme et d’humour triste propre à ses régions, que Christ s’est arrêté à Eboli, en d’autres termes, que sont influence cesse à 150 km de là, au nord-ouest, et que sa bénédiction ne saurait s’étendre à des hommes qu’ont considère comme des pouilleux, à peine plus que des animaux.

Récit autobiographique, au contenu sociologique et ethnologique, agrémenté d'anecdotes suggestives, ce témoignage oscille entre ironie féroce envers le ridicule des prétentions des “autorités” locales fascistes et tendre simplicité avec lesquelles les êtres et les choses sont décrits. On y décèle le regard du médecin de formation qu’il fut, statut qui lui vaudra l’affection auprès de ces humbles paysans dénués de tout. Car il s’agissait alors de vivre dans des conditions effroyables : la malaria sévissait régulièrement, comme d’autres infections tel que le trachome. Malnutrition, rachitisme, sont les lots de quiconque vit sur ces terres argileuses, stériles et enclines aux éboulement périodiques. Les calamités sont aggravés par le fatalisme de l’âme méridionale, bercée de mysticisme et de superstition, où le christianisme est pénétré d’un paganisme chtonien immémorial : les légendes de sorcières, de gnomes, de filtres bienfaisants et néfastes sont le fond des croyances populaires. Le fascisme n’y était implanté que dans la petite et moyenne bourgeoisie, alors que pour les paysans, c’était un mal inévitable, venu de ces messieurs de Rome, une autre des calamités qui frappaient leur vie depuis des générations et qu’il fallait bien patiemment supporter. Dans cette atmosphère désespérante d’ennui, de fatalisme et d’incurie, de haines et de rancœurs sourdes entre les “galantuomini”, propriétaires terriens et bourgeois, et les “cafoni”, paysans pouilleux, les villages se vident de leurs hommes, qui partent, qui vers le nord, qui vers l’eldorado de l’Amérique, et les robustes femmes, en une société matriarcale, assument les tâches dévolues traditionnellement aux hommes.

Ce récit poignant, édité une décennie après les événements relatés, est passionnant à bien des égards, notamment lorsque son auteur traite des données historiques du brigandage, issu de la civilisation paysage, sans état et sans armée, ainsi que des problèmes quasiment insolubles qui font obstacles au développement économique, social et culturel de l’Italie méridionale.
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