Nous étions trois à avoir été décapités dès l’enfance, trois à qui on avait refusé tout épanouissement et toute floraison, trois à n’être rien ni personne.
Il y a des âmes incurables et perdues pour le reste de la société. Supprimez-leur un moyen de folie, elles en inventeront dix mille autres.
Vous n’empêcherez pas qu’il y ait des hommes destinés au poison. Depuis que j’ai lu cette phrase d’Artaud, j’accepte que les gens autour de moi aillent à leur perte. Simplement, il n’est pas question qu’ils m’y entraînent.
Sans être naïf au point de croire qu’un sourire signifie immanquablement le bonheur, je suis bien placé pour savoir que les familles où personne ne sourit sont immanquablement malheureuses.
Cela dit, c’est le propre des stars planétaires que de bouleverser à leur insu la vie des larves qui végètent dans l’obscurité.
Bizarrement, au seuil de ce rade enfumé, je me sens presque heureux : la vie est là. Ça n’est pas parce que la mienne est horrible qu’elle le sera pour toujours.
Elles partent en vacances avec leurs parents, vont à la fac ou font une école de commerce, aiment la lecture, la danse et le cinéma - et ça me rend fou, ça me rend fou d'attraper les petits morceaux de normalité qu'elles me jettent sans même y penser. Comme autrefois, quand je regardais les familles des autres, je me repais de tous les signaux rassurants qu'elles émettent en permanence.
C’était rassurant cet amour, dans ma vie où l’amour a toujours pris les formes perverses de la crainte ou la pitié.
Elle parle de nous, c’est-à-dire de types mal barrés, qui vont mal tourner et surtout mal finir – autant dire des moins que rien – tant qu’on se crèvera entre nous sur des tas d’ordures, tant qu’on se crackera bien la gueule avec nos petits cailloux, la société passera ça par pertes et profits. Et si les pertes sont négligeables, les profits sont loin de l’être : la sélection s’opère naturellement, sans intervention extérieure, sans déploiement des forces de l’ordre – pas besoin de ligne budgétaire – y a qu’à nous laisser faire, bingo.
Elle n’a jamais voulu être une femme et encore moins une mère. Elle voulait juste qu’on la décharge de la difficulté d’être.