Médusé, incapable de détourner les yeux de ce qui se passait à quelques mètres de moi, je me disais que le cinéma c'était magique parce qu'on pouvait mourir pendu comme pépé et être toujours vivant. Je me disais qu'en filmant les gens, on pouvait les faire vivre pour toujours et qu'il n'était plus nécessaire de les enterrer au cimetière. Pépé se balançait au bout de sa corde, mort et vivant à la fois. C'était vraiment étrange.
« Daphné est donc arrivée.
Je l’ai aussitôt rejointe chez son grand-père et ça a été une joie confuse. Je me sentais timide tout à coup. Timide comme jamais. J’étais debout devant elle, elle était debout devant moi et, étrangement, il ne se passait rien. Je l’avais tellement attendue, tellement espérée que j’osais à peine croiser son regard tandis que, de son côté, elle essayait désespérément d’attraper le mien au vol comme un oiseau effarouché. Je n’osais rien dire. Aucune parole ne me venait à l’esprit quand d’ordinaire, dès que nous nous retrouvions en présence l’un de l’autre, il ne se passait pas cinq minutes avant que nous ne soyons repartis ensemble sur les chemins de l’été. »
« C’est pépé qui un matin en a parlé le premier. Il l’a annoncé avec gourmandise sous le tilleul, au cours du petit-déjeuner, tandis qu’il prenait son deuxième café avec mémé, sans se douter une seconde de ce que ses paroles amusées allaient déclencher d’irréversible. Il n’avait pas encore commencé à bricoler dans la grange et s’attardait à lire le journal alors que, à peine levé, les cheveux en bataille, je déjeunais avec eux en silence.
Penché su les pages grandes ouvertes devant lui sur la table, les lunettes haut perchées sur son nez, il m’a dit :
- Écoute-ça Philémon, tiens-toi bien : ils vont tourner un film au village la semaine prochaine. Ça va durer trois jours. On aura tout vu ! »