Citations sur Le Livre de Neige (145)
À ce propos, notre chienne Tina est morte. Elle était si malade et qu’elle ne mangeait plus les médicaments que je roulais dans le chorizo. Un jour, elle a fait un trou sous le grillage de la maison. Elle est partie mourir près du vieux lavoir. On a reçu un coup de fil des pompiers, qui l'ont retrouvée là-bas.
Elle est enterrée sous le tas de bois. Adieu Tina. Je n’aurai plus jamais la consolation de ton odeur de chien qui pue, quand on se roulait sous les bambous l’un contre l’autre. Plus jamais tu ne frétilleras de la queue à mon approche, puis jamais tes oreilles qui se dressent et remuent, plus jamais ta façon de tirer la langue avec un bruit de ventilateur à la puissance dix, plus jamais ta façon de boire de l’eau comme si tu n’avais pas bu depuis plusieurs générations de Tina, plus jamais ta façon de ramasser la vieille balle de tennis en mettant de la bave partout, plus jamais ton sourire d'ange égaré parmi les humains. Tu ne seras plus jamais là pour nous. La mort de Tina, c’est vraiment la fin de l’enfance.
Pourquoi, en France, les jeunes générations n'ont pas davantage accès à l’histoire de l’immigration ? Pourquoi cette histoire commune, belle et nécessaire, n’est pas inscrite dans les programmes scolaires ? Pourquoi des phénomènes aussi massifs occupent-t-ils si peu de place dans la mémoire collective ? Quelle amnésie nous constitue ?
Le sentiment dominant de Nieves à son arrivée en France, c’est la honte de ne pas parler le français. Sans accès à la parole, elle redevient une enfant. Du latin infans, “qui ne parle pas”. Ne pas parler, c’est être sans défense. Dans le rapport empêché à la parole se joue l’enfermement insidieux de la honte. Ici, Nieves à l’impression d’avoir moins de valeur que les autres. Elle sent qu’elle n’a pas sa place.
Une nuit, alors que je commençais l’écriture de ce livre, j’ai vu ma mère en rêve.
Dans ce rêve, elle est à la fenêtre d’un train et elle sourit. La lumière est belle. Peut-être que, comme l’écrit Jean Giono, “le soleil n’est jamais si beau que les jours où l’on se met en route”. Nieves est en route pour un grand voyage. Pour une nouvelle vie. Elle regarde par la fenêtre, la lumière écrire son visage. Elle contemple le paysage et elle sourit.
Je sais que c’est un rêve. Un rêve, c’est une fiction qui dit la vérité.
Le sentiment dominant de Nieves à son arrivée en France, c’est la honte de ne pas parler le français. Sans accès à la parole, elle redevient une enfant. Du latin infans « qui ne parle pas ». Ne pas parler, c’est être sans défense. Dans le rapport empêché à la parole se joue l’enfermement insidieux de la honte.
La tristesse, c’est comme la météo de Nathalie Rihouet. Il ne faut pas s’en faire. Le soleil finit toujours par revenir sur l’ensemble du territoire, des côtes de l’Atlantique jusqu’aux Ardennes.
Je traîne avec une bande de rastas sympathiques qui deviennent mes amis. Ils passent leur journée à parler d’herbe. C’est reposant, et puis, ça ne m’éloigne pas beaucoup de la botanique.
Nous rêvons de héros et d'héroïnes différents. Des héroïnes exilées. Des héroïnes étrangères. Des héroïnes de l'immigration. Réhabiliter la mémoire de nos proches, ce pourrait être un début. Ma mère, comme ma grand-mère, comme des millions d'autres femmes étrangères arrivées en France à cette époque, est une héroïne.
Maman, qu’est-ce que ça veut dire, la ZEP ?
Elle a hésité.
— La ZEP… La ZEP, c’est la cité où je travaille. Ça veut dire : « Zèbres Époustouflants et Prodigieux !
Pour ma mère, le prénom Olivier est une évidence, une synthèse. L’olivier est un arbre tortueux, millénaire. Elle aime son écorce, ses cicatrices et sa torsion. La façon dont il porte les marques du temps. Son endurance. Sa croissance lente, sa longévité. L’olivier incarne une civilisation, la Méditerranée. Il renvoie à ses racines, aux champs de l’Andalousie d’où vient Paco. À des siècles d’histoire. Il est le symbole de la paix, il évoque la philosophie de la non-violence. Elle aime tant ce prénom que si j’avais été une fille, elle m’aurait appelée Olivia.