Citations sur Le Livre de Neige (145)
Son plus grand bonheur est d’aller au marché. Elle aime la rue pleine de vie, les cris des vendeurs et l’odeur du pain chaud. Les marchandes de poisson qui trônent parmi les merlus, le bacalao et les calamars. L’huile d’olive. La pulsation de la ville. La beauté des toits sous le soleil froid. Les flèches des églises qui s’élancent vers le ciel. Les pommes de terre comme des lingots d’or.
Mon père ne parle presque pas, mais il aime faire la cuisine, et c’est comme ça qu’il nous montre son affection. Comme si les mets étaient des mots, et qu’une tarte aux poireaux pouvait être une déclaration d’amour.
Chaque soir, je guette les expressions de son visage qui varient en fonction du temps qu’il va faire. C’est ça, la magie de la météo. Celle de connaître un peu son destin, ensoleillé ou nuageux, pluvieux ou doux, et d’exorciser la peur du lendemain, face aux précipitations du monde.
Depuis quelques années, Nieves saisit l’importance des droits récemment acquis par les femmes. Le droit, depuis 1965, de travailler sans l’autorisation du mari. Celui d’avoir un chéquier. Celui de posséder un compte bancaire à son nom. La loi Neuwirth, en 1967, a autorisé la contraception. En 1971, pourtant, la plupart des grandes écoles sont encore fermées aux femmes.
Nieves a la pudeur des sensitives, Mimosa pudica, dont les feuilles se rétractent lorsqu’on les effleure. Elle étudie avec passion. Ce qu’elle apprend lui ouvre des horizons, lui permet d’échapper à la trivialité de son quotidien, lui donne à rêver mille vies. Les disciplines scientifiques la fascinent. La littérature la transporte.
Les biologistes le savent. Non seulement la différence n'est pas une pathologie, mais c'est le moteur de l'évolution du vivant. La vie perdure et la vie invente de nouvelles espèces, via la présence d'éléments transgressifs, différents, dans les populations. Et toutes ces différences sont le fruit du hasard. Imprévisible, la vie !
Même si la marche à gravir est haute, il faut y arriver ! Faire face à l'adversité. Transformer la douleur en force motrice. Se surpasser. En sortir fortifiée. Être architecte de sa propre joie et de son propre destin.
Négliger la méchanceté, privilégier la joie.
Nieves n'a pas envie de ressembler à ces femmes soumises qu'on lui donne en modèle. Dans ce contexte pesant, elle éprouve un désir de liberté, et comprend que cette liberté passe par le savoir et les livres. Formule de son bonheur : la volupté d'apprendre, du soleil, et le chant des oiseaux.
Ce que nous ne voulons pas savoir de nous-mêmes, ce que nous évitons de reconnaître en nous-mêmes, tout ce qui n’est pas formulé, pas su, tout ce qui est ignoré, effacé, tout ce qui se love et se cache dans les silences brûlants du passé, tout cela, je crois que nous le rencontrons, un jour ou l’autre, et que nous devons l’affronter.