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Critique de Erik35


IL Y A RENONCEMENTS ET RENONCEMENTS.

1904 : date faste dans la biographie de Jack London. C'est en effet cette année-là que paru ce qui allait devenir, d'ailleurs très rapidement, l'un des grands classiques de la littérature américaine, ce si mal nommé, en français, L'Appel de la forêt (le titre choisi par les éditions Libretto rien bien mieux le sens exact de ce court roman : L'appel sauvage), et bientôt battre tous les records de vente outre-Atlantique, sans que son auteur en toucha d'ailleurs le millième, ce que London ne regrettera qu'à demi car il estimait que la célébrité et l'aisance due à ses oeuvres étaient toutes à venir. Aussi, lorsque parurent ces huit nouvelles, comme toujours éditées dans des magasines et autres revues bien avant d'être collectées en un seul volume, c'est peu de dire qu'elle furent relativement éclipsées par le succès foudroyant de l'histoire du chien Buck.

Pourtant, à défaut d'affirmer que ce recueil est son meilleur titre, Parole d'homme : Histoire du pays de l'or est tout de même dans sa meilleure veine, et prolonge encore l'expérience vécue par Jack London dans le grand nord canadien où, de chercheur d'or, il se transfigura assez vite en chercheur d'histoires et de rencontres.

Et c'est une nouvelle fois de ce grand nord mythique autant qu'il est réel dont il s'agit ici. Tour à tour, c'est la dure loi du vivre ou mourir qui est en jeu, avec toute son âpreté, sa rugosité, sa sauvagerie aussi bien lorsqu'il s'agit d'un animal étrange mais héroïque («Un survivant de la préhistoire») que lorsqu'il est question des êtres humains, une femme en l'occurrence dans « le Mariage de Lit-Lit » qui met en scène un indien troquant sa fille à un Blanc pour 100 couvertures, 5 livres de tabac, 3 fusils et 1 bouteille de rhum !

Ce sont encore les rapports étroits, complexes, pas si inégaux qu'il y parait, surtout dans les conditions de survie glaciale de la forêt arctique, comme dans « Bâtard » où les supposées bêtes ont, pour certaines, développé une intelligence qu'on leur voit peu dans des conditions plus douces, et où l'on retrouve, comme dans Croc-Blanc ou L'Appel sauvage l'opposition homme-animal.

C'est parfois d'un rire grinçant, terrible, que l'auteur nous surprend, comme dans cette nouvelle qui aurait pu se contenter de demeurer simplement bouffonne, mais qui est définitivement cruelle, que l'on découvre dans «Les mille douzaines d'oeufs». Celle-ci débute sur le ton d'une ironie mordante : «David Rasmusen était un débrouillard et, comme la plupart des grand hommes, le champion d'une seule idée.» Est-il utile de préciser que cette idée (ramener cette quantité considérable d'oeufs afin de se faire une fortune supposée facile en les revendant à des mineurs affamés, au-delà de la fameuse Chilcoot Pass) va mener notre "débrouillard" maniaque à sa perte ? Bien entendu, ce rire n'est pas moquerie de la part de Jack London, mais souvent, on le sait, l'humour noir permet aussi de narguer la mort, au moins quelques instants.

Une autre nouvelle mérite qu'on s'y arrête un peu plus longtemps, c'est le texte intitulé «L'histoire de Jees Uck», et qui est le dernier de cet opus. Jeune métisse indienne qui sacrifia tout pour l'amour d'un homme blanc. Toute jeune, elle tombe amoureuse de Neil Bonner pour qui elle n'est qu'un amusement appréciable dans la solitude du Nord. «Ceci est donc, précise le narrateur, l'histoire de Jess Uck, et c'est aussi l'histoire de Neil Bonner, et de Kitty Bonner, et de deux descendants de Neil Bonner». Mais Neil va bientôt devoir rentrer dans l'Est pour régler la succession de son père. Il lui promet de revenir dès que tout sera réglé, l'installant pour le mieux mais l'oubliant assez vite, une fois retourner vers l'ambiance des villes, dont il était l'enfant, s'amourachant d'une Kitty Sharon et décidant de se marier avec elle. de son côté, Jees Uck attendra encore et encore le retour de l'amant prodigue, devenu père sans qu'il ait pu l'apprendre, mais sans jamais voir s'en revenir son attelage, refusant de croire ce qu'un agent commercial de son mari lui avait appris, c'est à dire l'annonce de ces noces. Finissant par se lasser d'attendre, elle finira par aller y voir de plus près, les retrouvant sur cette terre américaine qui ne lui est rien, Neil, son épouse et... une petite fille nouvelle née...
Cette nouvelle, un peu plus longue que les autres, est d'une beauté à peine croyable, mais faite pourtant d'une certaine dureté, portrait d'une femme indienne d'une noblesse étonnante, capable d'un esprit de sacrifice et d'amour comme on en imagine peu. Assurément, l'un des plus beaux textes courts jamais écrit par Jack London qui s'y entendait comme peu - du moins pour des écrivains de cette époque - pour dresser des portraits de femme aussi crédibles qu'émouvants.

Certes, on retrouvera la plupart des grandes leçons de vie auxquelles était attaché l'auteur de Martin Eden mais l'on sent aussi, dans ces textes, qu'il n'est plus ce jeune homme croyant avant tout en la force libre de l'individu seul - son fort engagement auprès du Parti Socialiste américain n'y était pas pour rien -. Malgré tout, les portraits qu'il nous dresse encore ici sont de beaux exemples de vie, à suivre ou à ne pas suivre, au sein d'un monde plus exigeant que jamais.

Face à cette nature sauvage aussi bien que face à certains êtres, «il y a, dans l'histoire, renoncements et renoncements», n'hésite-t-il pas à nous rappeler en introduction de l'histoire de cette si poignante Jees Uck, encore s'agit-il de rester toujours digne et droit.
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