Citations sur Le phare appelle à lui la tempête et autres poèmes (8)
LE DERNIER HOMME AU DÔME
Où est la splendide ivresse? Où le grand ivrogne?
Cet impondérable petit mystère
M'empêche de dormir constamment à minuit:
-Où est-il parti, de quelle table lève-t-il sa chope?
Où sont-ils disparus, mes amis, les grands désancrés?
Ils ne gémissent plus aux bars, ils ne prennent plus la mer;
D'un simple tremblement de volonté, ils rêvent sans contrainte,
Viveurs de vies dont ils avaient l'ardent désir
Couloirs interminables de bottes à lécher,
Avec, tout au fond, le gros orteil du pape.
Où sont tes amis, pauvre idiot? tu n'en as plus qu'un,
Qui d'ailleurs te donne la nausée
Quoique bien moins que les autres; je le connais
Car je suis le dernier ivrogne : je bois seul.
PAS LE TEMPS DE S'ARRÊTER POUR PENSER
Un seul espoir le prochain verre.
Va te promener si tu préfères.
Pas la peine de te poser pour penser,
Un seul espoir le prochain verre.
Sauf si l'abîme te met en nage,
Ça ne sert à rien ton bavardage.
Un seul espoir le prochain verre.
Va te promener, si tu préfères.
DÉLIRIUM À VERA CRUZ
Où donc a fui la tendresse, demandait-il au miroir
Du Biltmore Hôtel, cuarto (chambre) 212. hélas,
Voilà-t-il pas que son image s'est penchée aussi contre le verre.
Pour me demander où je suis parti, vers quelle horreur ?
Est-ce elle que je vois me fixer à l'instant avec terreur
Derrière ta fragile barrière oblique ? La tendresse
Exista un jour au fond de cet abri,
Ce lieu, forme visible et cris audibles par toi. Où donc fut
L'erreur ? Suis-je cette image fourchue, cramoisie ?
Est-ce le fantôme de l'amour que tu reflétas ?
À la minute même, sur fond de tequila, mégots, cols crasseux,
Perborate de sodium, feuille gribouillée
À l'adresse des morts, téléphone déconnecté ?
— De colère il fracassa le verre en miettes (coût total 50 $)
/ traduit de l'anglais par Jacques Darras
Rilke et Yeats
Aidez-moi à écrire,
Montrez-moi les portes
Où sont affichés les ordres.
Et la cage
Où mon courage
Sous le regard de mon âme fascinée
Rugit derrière les grilles.
il aimait bien les morts )
comme approchait la fin du jour,
la pauvre fin d'un jour sans vie
il tenta de compter les choses
qui lui tenaient vraiment au coeur.
il n'avait rien d'un Rupert Brooke,
et rien d'un amoureux célèbre ;
rien dans sa mémoire n'était sans mélange,
jamais son âme n'avait été sans crainte,
et en ce moment même il l'eût dix fois vendue
pour une canette de bière.
il semblait ne jamais avoir connu l'amour,
et avoir estimé l'angoisse plus que tout.
il aimait bien les morts. L'herbe n'était pas verte,
à ses yeux : et elle n'était pas même l'herbe,
ni le soleil n'était le soleil, ni la rose
la rose, la fumée fumée, ni corps le corps.
Pierres blessées
Parfois l’enfant ne sait pas dire son chagrin,
Mais il entend, le soir, les étranges présages
Qui annoncent aux pierres blessées, à même le sol,
Leur libération, où il apprend que les pierres
Cœurs brisés, ont parfois l’éclat dur d’un langage.
Le bruit de la mer rugit au vestiaire
- Et un reproche ; mais cela même est rassurant :
Un reproche de moins entre lui et la mort…
Et là, sur le tapis devant la cheminée,
Il regarde l’enfer et voit son avenir
- Qui sait, peut-être une chambre de chauffe ?-
Pourtant, l’enfant, je pense, a connu des fous-rires
(On dit que de la vie ce sont les seuls remèdes),
Et puis, n’eût-il pas survécu,
Saurait-il que Rimbaud a connu ces chagrins,
Rimbaud dont l’âge d’homme aussi, comme le sien,
Fut déserté d’amour et privé de langage ?
Pensées à effacer de mon destin
Il ne cesse de lire, le poète à venir,
Peut-être justement dans cette anthologie
Révisée (car elle le sera, d’ici dix ans,
Ce qui laisse à notre poète
Tout le temps qu’il faut pour grandir) ;
Bien qu’il ne cesse de lire, il ne comprend toujours pas
Même dans son pays, il se sent « à côté »
Il lit comme s’il écrivait entre les lignes
Lignes d’autrui où il devine
Bien peu de sens ou de folie.
Par rapport au démon de tous ces gens, ses forces
Sont comme le soutier par rapport au marin.
Il lit mais il ne comprend rien
Sauf dans quelque fragment d’une biographie
Où il est écrit : « se donna la mort ».
Pour l’amour de mourir
Les tourments de l’enfer sont implacables, vifs
Sont les feux de l’enfer ; et pourtant les vautours
S’arc-boutant contre l’air pour virer sur leur aile
Sont plus beaux que le vol plané de ces mouettes
Abandonnées au vent dans la fraicheur du jour
Plus beaux que les ventilateurs dans les asiles
Qui par leur soyeux va-et-vient
Tissent à l’espoir un destin ;
Et jamais l’espoir n’a lancé
Sa gageure aussi haut que l’illusion vitale
Qui chevauche le vol du vautour. Si la mort
Peut voler pour l’amour de voler, est-il rien
Que la vie, pour l’amour de mourir, ne pût faire ?