Les liens entre personnes constituaient la plus sûre des captivités.
On ne peut avoir pour ennemi que son égal.
Le moi ne trouvait son unité que par l’agir. Pour un humain, un tel problème ne se posait pas, car pour un être biologique, incarné, la survie de la chair constituait un but en soi. L’Homme n’était ni libre ni immortel : il n’avait pas, à proprement parler, d’âme, bien qu’indubitablement doté de conscience. Mais pour un noème, une créature de transcendance et d’intellection, qui ne portait pas en elle le spectre de sa propre mort, point d’autre voie que de se fixer un objectif et de l’accomplir.
L’Humanité avait disparu, et les automates — son peuple — erraient comme des âmes damnées sur la terre inhospitalière qui leur avait donné naissance
Survivre ne se réduisait pas à perdurer.
C’était également jouir du passage du temps.
— Regardez autour de vous. L’élément marin… Il parle aux gènes enfouis dans chacune de vos cellules. Il apaise notre détresse, et il offre le rêve d’un ailleurs, d’un retour à la mare primitive dont nous, l’écume de la terre, sommes issues. À travers votre corps, que vous le vouliez ou non, vous vous inscrivez dans une lignée qui dépasse la seule civilisation humaine, qui vous enracine dans quelque chose d’ancien et de paisible. Le ressentez-vous ?
"Tandis que Dieu calcule et réfléchit, il fait le monde."
La citation est de Leibniz.
— L’espace est immense, commenta Blepsis d’une voix songeuse. Il est difficile de savoir ce qui relève de la nature et ce qui est le signe de l’artifice…
L'harmonie complexe, l'équilibre dynamique, la beauté. Il avait accompli ces merveilles: à lui d'en profiter. Car, en définitive, survivre, n'était-ce pas continuer à jouir?
Othon était un faux dieux, et elle, une fausse princesse. Et chaque événement se réduirait à un artifice, surgi des lourdes machineries qui maintenaient la réalité de ce cosmos miniature.
- Apo mekhanes theos*, murmura-t-elle.
*Deus ex machina.