«
Strega » envoûtant, le sacre d'une littérature évocatrice. L'effusion sensorielle et intrinsèque.
Il faut lire doucement ce chef-d'oeuvre et étreindre
Strega.
Lieu où l'atmosphère dans ce hors-temps est un voile métaphysique frôlant un visage d'une femme.
Ténébreux, superbe, alloué à la magnificence d'un style unique qui happe et ne lâche rien.
Strega, nid d'aigle au sommet d'une montagne. Village des cimes, éloigné du monde d'en bas. Sa hiérarchie de silence, de solitude et de sévérité. Ses mystères à flanc de sensations. Un lac noir, au plus près, anneau encerclant cet espace magnétique et sombre.
Paraboles qui se lovent subrepticement, insistantes et significatives.
Ici, l'Hôtel Olympic, où le fantastique, l'ésotérisme est un plafond de verre, où tout se transforme et l'étrange advient. Double langage et toile de fond d'une trame captivante et risquée. Ce texte grandiose, vif, est admirable dans son ressac poétique, imagé à la minute même à l'instar d'un film au ralenti.
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Strega était des filles qui se tressaient les cheveux les unes aux autres d'une façon particulière. Des filles qui transportaient des grosses pierres à travers les montagnes…
Strega était une veilleuse qui éclairait la plus laide du monde. »
Neuf jeunes femmes de dix-neuf ans sont sélectionnées pour travailler durant une longue saison à l'Hôtel Olympic. Filles pauvres, la condition éreintée, la rigueur au garde-à-vous, dévouées et attentives à l'apprentissage comme futures femmes au foyer. La domesticité pour avenir. Elles font bloc, siamoises, gestuelles complices, la sensualité dévorante et insoumise. Les amitiés particulières, neuf dans un dortoir tiré à quatre épingles, où les regards semblent deviner les ombres sournoises et assassines. L'uniforme muselière, les rites ménagers.
« En uniforme j'avais l'air d'une femme capable…On a l'impression de traverser une maison close, un endroit où la nuit est éternelle et où tout s'opérait sous le couvert de l'obscurité. Des scènes étranges où une fille se penche en avant dans une robe de mariée immense. »
Un prieuré à portée de vue. Des nonnes mutiques et sourdes. Taire le ressenti, les jeunes filles désignées d'office à l'invisibilité.
« Le conflit entre les nonnes et le personnel de l'hôtel était profond, mais non formulé… L'hôtel avait surgi un été, sorti de nulle part, comme quelque chose de démoniaque. »
Filles de passage, où pas un client ne survient. Les gestes appliqués aux venues improbables. Elles sont habitacles, cigarettes et rires. Lave volcanique prête à fuser. Peurs et scène de crime. Exacerbées dans cet imaginaire à en perdre la raison. Si prégnant, si sournois qu'il devient authentique, eau empoisonnée, fantasmes endormis sous les feuillages. Elles savent l'innommable, l'insondable.
Ce récit est d'ombre et de lumière, d'âpreté et de sensualité, dans une mystique qui bouleverse tout. On est en plongée dans cette idiosyncrasie, résurgence à l'identique d'une nage dans un lac glacé, profond et qui ordonne tout, des flots aux nuances, aux plausibles noyades et aux résistances.
Ce livre est profondément viril, rugueux, mais si beau qu'on en perd le souffle. L'Hôtel Olympic, thriller aux abois, à mille mille d'une carte postale estivale et olympienne. Symbole de l'emprise et des forces du mal.
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Strega » et ses inoubliables enfants , dressées pour les façades dorées et fissurées. L'histoire vigoureuse, immensément mature est percutante.
Johanne Lykke Holm entraîne le lecteur (trice) au plus près d'un choc de lecture poignant et obsédant. Cette fierté éditoriale est un bel escompte hyperbolique du futur. Un livre intemporel, stimulant et parabolique. Traduit avec brio du suédois par
Catherine Renaud. Á noter une photo de couverture symbolique et magnifique de Marinka Masséus, photographe à Amsterdam. Publié par les majeures Éditions La Peuplade.