"Je ne vous ferai certainement pas d'excuses pour avoir dit la vérité, déclara-t-il.
- La vérité ? Vous m'avez traité comme une dangereuse criminelle !
- Et vous, vous avez affirmé me haïr plus que n'importe qui au monde.
- Et je le pensais."
Mais un sourire fit frémir le coin de ses lèvres, et elle en discerna le reflet sur le visage de Chaol. Il lui lança un bout de pain, qu'elle attrapa d'une seule main et lui renvoya. Il l'intercepta avec adresse.
"Idiot, lança-telle sans plus dissimuler son sourire.
- Criminelle, rétorqua-t-il en lui rendant son sourire.
- Je vous hais vraiment vous savez ?
- Mais moi, au moins, je n'ai pas fini à la dix-huitième place."
Keleana sentit ses narines se dilater et Chaol esquiva de justesse la pomme qu'elle lui lança à la tête.
" Chacun survit comme il peut ", conclut-elle.
- À quoi bon avoir un cerveau si ce n'est pour juger par soi-même ?
- À quoi bon avoir un cœur si ce n'est pour épargner ceux que la dureté de vos jugements pourrait blesser ?
"Et vous, quel âge avez-vous ? demanda-t-il.
- Dix-huit ans." Comme il ne disait rien, elle enchaîna. "Je sais, c'est impressionnant, tout ce que j'ai pu accomplir à un âge aussi tendre !
- Le crime n'est pas un accomplissement, Sardothien.
- Mais devenir l'assassineuse la plus célèbre au monde, si ! Vous pourriez me demander comment j'y suis parvenue, reprit-elle devant son absence de réaction.
La princesse lui tendit sa perche magnifiquement sculptée à la pointe de fer. Keleana regarda tour à tour l'épée de Chaol et l'arme de son amie. L'épée était de toute évidence le meilleur choix, et ce don de Chaol la troublait étrangement, mais la perche...
Nehemia se pencha vers Keleana et lui chuchota à l'oreille.
« C'est avec une arme d'Eyllwe que vous devez les vaincre.» Sa voix monta. « Que le bois des forêts d'Eyllwe l'emporte sur l'acier d'Adarlan ! Que le champion du roi soit celui qui comprend les souffrances des innocents. »
Il en avait fini avec la politique et les intrigues. Il l'aimait, et aucun empire, aucun roi ni aucune crainte terrestre ne le séparerait plus d'elle. Si on essayait de la lui reprendre, il se sentait capable de détruire le monde à mains nues. Et, sans qu'il comprît pourquoi, cette perspective ne lui aspirait aucune crainte.
" Je ne suis pas marié, dit-il doucement, parce que je ne supporterais pas de vivre avec une femme qui me soit inférieure par l'esprit et l'intelligence. Ce serait la mort de mon âme.
- Le mariage n'est qu'un contrat légal, et rien de plus. En tant que prince héritier, vous devriez renoncer à ce genre de rêves creux. Que ferez-vous si on vous somme de conclure une alliance ? Allez-vous déclenchez une guerre pour défendre vos idéaux romanesques ?
Certains tissus retinrent néanmoins son attention mais quand elle voulut recommander certains coupes qui la mettraient en valeur, le tailleur balaya ses indications d'une moue et d'un revers de la main. Keleana songea à lui planter une de ses aiguilles dans l'œil.
Quel plaisir ce serait de voir son sang couler sur le marbre !
En attendant ce jour, vous êtes exactement là où vous devez êtes, fit-elle. Aux côtés du roi. D'ici, vous verrez ce qui doit être fait. Mais pour l'heure... savourez votre victoire.