L'île-sirène

Laurent « Seegan » Mabesoone est un poète. C'est flagrant dès les premières pages de ce conte moderne, et je ne parle pas des haïkus lançant chacun des chapitres : on le ressent dans chaque ligne ainsi que dans cette histoire aux accents fantastiques.

L'île-sirène qu'évoque le titre fait référence à Hiva Oa, île des Marquises célèbre pour avoir accueilli les illustres Gauguin et Brel – qui se rappelleront à notre mémoire au fil des pages – jusqu'à leur dernière demeure, au cimetière d'Atuona. Découvrir les Marquises sous l'oeil d'un artiste peignant avec les mots est très agréable et, pour peu qu'on succombe à l'appel des tropiques, très immersif. Les couleurs, les parfums, les ambiances… On a l'impression d'y être. Paisible, rythmée par la nature, on plonge dans cette vie locale qui permet de tisser l'intrigue dans un décor majestueux.

Ce roman est l'occasion pour l'auteur de nous transmettre sa passion et son profond respect pour la culture marquisienne en exposant sa richesse par le biais de nombreux artistes dans ses personnages, d'ailleurs tous attachants par leur profondeur et la gentillesse qu'ils incarnent. Telle une légende polynésienne à la morale souvent dure, la vie simple et le sourire des marquisiens offrent également un contexte idéal à une critique du mode de vie occidental, à la fois sur le plan social et environnemental. le contraste entre les styles de vie est saisissant et invite à la réflexion sur de nombreux sujets, notamment sur la place de l'Homme sur Terre et parmi les autres êtres vivants, en reprenant certains mythes polynésiens empreints d'animisme.

J'ai apprécié la mise-en-scène générale, cette histoire en partie racontée par l'un des protagonistes, tandis qu'elle se poursuit dans le présent, jusqu'au dénouement. Une fois embarqué, le voyage est à la fois paisible et rythmé, à l'instar de l'île qui l'a vu naître.

Pour l'anecdote : il se trouve que l'auteur est venu présenter son roman au salon du livre de Tahiti, et mon sentiment avait été plutôt mitigé – et puis les poètes, et encore plus les haïkus, je n'y connais rien et n'étais pas dans mon élément. Mais ma compagne elle, a accroché, et voilà que je me retrouve avec le bouquin dans les mains pendant qu'elle discute avec l'auteur.
Et cette histoire de sirène, aux Marquises… Ça a fini par m'intriguer.
J'ai passé un excellent moment de lecture, auquel je ne m'attendais pas. Sans doute que ma passion pour la Polynésie n'est pas étrangère au plaisir de plonger dans l'univers marquisien, néanmoins je n'ai rien à redire sur la qualité du roman en soi, ni sur l'aspect matériel de l'ouvrage d'ailleurs, de très bon facture.
Je ne m'attendais pas non plus à entendre parler d'anthropologie, ni – encore moins – à lire le mot « capitalisme », contextuellement critiqué.

Une très bonne surprise.