Citations sur La fabrique de poupées (60)
"La solitude est une calamité. Il a toujours prétendu le contraire - quand on n'a pas le choix, à quoi bon regretter ce que le destin nous impose ? Mais le silence qui règne dans sa boutique, la place froide et vide à côté de lui sous les draps, les récits qu'il se fait à lui-même, faute d'interlocuteur, le va-et-vient lancinant de ses pensées - tout cela l'a laissé exsangue."
Silas a oublié Iris. Voilà ce qu'il se dit chaque matin en se réveillant.
"Une odeur de friture lui envahit les narines. Et toutes les odeurs de Londres avec elle : humidité froide de la Tamise, fumée de pipe, feu de bois, légumes pourris, pommes sures. Et tant d'autres encore ! Les tas de cendres qui jonchent le trottoir et se soulèvent sous la brise, légers et volatils ; la poussière qui monte du Strand, entraînée sous les roues des voitures. Un soleil radieux danse entre les immeubles. C'est splendide. Et c'est à elle. Pour elle. Un instant d'éternité."
"Pourquoi de tels mécanismes occupent-ils une si grande place dans l'exposition ? Ils témoignent des progrès de l'industrialisation, certes - mais peut-on parler de progrès quand ils ne produisent que des tombereaux de journaux identiques, de porcelaine frappée des mêmes blasons, de bobines de coton rigoureusement semblables, aussi nets et symétriques soient-ils ? Si c'est là l'ère moderne dont on leur rebat les oreilles, Silas refuse d'y participer. Au moins, se rassure-t-il, une machine ne maîtrisera jamais les ficelles de son métier : comment un bras articulé pourrait-il éviscérer, coudre, articuler ou empailler un animal ?"
" Pouvez-vous me montrer comment utiliser la peinture à l'huile ?
- Avant de marcher, apprenez d'abord à ramper...
Elle ouvre la bouche et incline la tête en arrière. Un flocon de neige vient se poser doucement sur sa langue.
"Lorsqu'il s'en va, emportant la lampe avec lui, les ténèbres envahissent la cave. Des ténèbres si profondes, si denses, qu'elle demeure pantelante, au bord de l'asphyxie. Il n'existe pas de pigment assez sombre, pas de pinceau assez épais pour peindre de telles ténèbres."
"Elle enfonce ses doigts dans ses paumes. Cesse de pleurer, s'exhorte-t-elle. Au lieu de s'apitoyer sur son sort, elle doit faire tout son possible pour survivre. Y compris manger et boire dans les mains de son ravisseur. L'essentiel est de rester en vie."
Elle veut que ça cesse , elle veut que ça continue.
La main de Louis est posée sur sa taille. La main de Louis est posée sur sa taille. Cet instant ne durera pas, mais, pour l'heure, elle veut rester ici, dans la brume et les ténèbres, avec lui. Pour l'heure , elle est à lui.
"C'était un geste pénible, mais nécessaire. Et puis, serait-il aussi satisfait si tout s'était passé trop facilement ? Les tâches les plus compliquées sont les plus gratifiantes. Il repense à la manufacture de porcelaine : s'in n'était pas indispensable de procéder à deux cuissons, de faire travailler des enfourneurs, des tourneurs, des polisseurs et des émailleurs, aurions-nous autant de plaisir à retourner une assiette de porcelaine entre nos mains ?"