Citations sur La fabrique de poupées (60)
Jusqu'ici, elle n'a jamais eu la possibilité de diriger sa vie. Elle ignorait même qu'elle fût en droit de le faire. Une vive colère l'envahit à cette pensée. Elle songe aux jeunes livreurs, aux ragoûts du dimanche, à ses mains rouges craquelées par la lessive - et à ce qui s'offre soudain à elle : une autre vie. La peinture. Et Louis.
Silas est satisfait du travail accompli pour cette commande, d’autant plus qu’il a dû se hâter pour achever à temps les étapes finales. Il est convaincu que l’artiste sera content, lui aussi : non seulement la tourterelle est prête ce matin, comme prévu, mais elle est figée dans son envol, les ailes déployées en un « V » parfait, ainsi qu’il l’avait exigé. En outre, Silas s’est assuré un revenu supplémentaire en prélevant le cœur de l’oiseau : l’organe brun et plissé flotte maintenant avec d’autres dans un liquide jaunâtre et sera vendu à bon prix à un médecin ou à un apothicaire du quartier.
"Si les hommes sont capables d'un tel exploit, s'ils peuvent mettre de grandes ormes en cage et maîtriser la nature, que ferait-elle, elle, si elle disposait de moyens similaires ? Elle se sent tantôt insignifiante, guère plus importante qu'un pou à la surface de la terre, tantôt surpuissante, capable de s'enfuir à tire-d'aile, d'échapper à la maison, au magasin - et même, s'avoue-t-elle la mort dans l'âme, à sa sœur."
... j'ai du mal à croire que nous allons mourir. Et que, après ma mort, le monde continuera de tourner comme il l'a toujours fait. Seuls mes tableaux témoigneront de mon passage sur terre.
Un vrai peintre perçoit le monde comme un tableau, une série d'angles et de formes, une succession de mouvements susceptibles d'être figés et capturés sur la toile.
Parfois, reprend-il, j'ai du mal à croire que nous allons mourir. Et que, après ma mort, le monde continuera de tourner comme il l'a toujours fait. Seuls mes tableaux témoigneront de mon passage sur cette Terre. Quand ma mère est morte - c'est stupide, je le sais-, je me rappelle avoir été surpris de voir le soleil se lever quelques heures plus tard. Il m'aurait semblé plus naturel que tout s'arrête, que le soleil cesse de briller, puisqu'elle n'était plus là pour le voir.
Millais parle de ses projets pour Ophelie, de l'expression mélancolique qu'il veut peindre sur le visage de la jeune noyée, de la profusion des fleurs qui l'entoureront -myosotis, pavots et couronnes impériales.
Regardez ! Vous avez peint la forme de votre visage tel qu'il est, et non de manière ovale. Certes, votre nez a l'aspect d'une courgette - sur le papier, je veux dire ! - et son contour ne rend guère justice à la beauté de l'original. Mais vos couleurs sont superbes. Vous les employez à bon escient. Tenez, on dirait un manuscrit enluminé, vous ne trouvez pas? Votre portrait est profondément vivant.
Silas s'approche du tableau et examine le visage de la reine. À cette courte distance, il voit ce qui lui échappait auparavant : un léger coup de pinceau sur sa joue, une pointe de lumière dans son œil, et ce vert affreux, si peu naturel, à l’intérieur de la bouche. De près, la reine n'est qu'un leurre. Une vile comédie, un artifice, comme les faux cheveux roux de la fille de St Giles. Or Silas ne supporte pas la fausseté : c'est le pire défaut qui soit.
Il sort le scalpel d'une main tremblante.
" Cueillez dès à présent les roses de la vie,
Car le temps jamais ne suspend son vol,
Et cette fleur qui aujourd'hui s'épanouit
Dès demain sera flétrie. "
Robert Herrick,
" Aux vierges, pour profiter du temps présent ",
extrait du recueil Hespérides (1648)