Ses compagnons avaient photographié son visage couvert de sang et cette plaie noire sur la tempe. Il en avait gardé une cicatrice et une sorte d’à-plat sur le côté du front. Les femmes avaient appelé Jean-Luc le « beau brun », puis le « beau gosse » toute sa vie. Ce drôle de choc avait déséquilibré son visage. Est-ce que c’était ça qui l’avait fait fuir ? Nouveau visage, nouvelle vie ? C’est un peu con, mais bon, va savoir ?
absente. « C’est notre caillou dans la chaussure », a repris Laure, comme si la réponse lui avait échappé. L’expression en effet était un brin populaire, j’aurais pu dire ça, on attrape ce genre de petit caillou quand on travaille la terre. Et puis un soupçon ridicule. Mais c’est ce qu’elle a dit. Cette grande fille était un petit caillou.
Je me suis toujours senti plus proche de l’eau que de la terre, bizarrement. Je me suis souvent imaginé en marin frustré, mais je n’en sais rien en fait. J’ai pensé à la piscine d’Arnaud et de Laure, à cet écrin turquoise, là-bas, à deux cent cinquante mètres, environ. Il me suffirait de marcher une minute, d’ôter en route mon tee-shirt, de balancer mes chaussures de travail, de laisser tomber mon pantalon, de ne surtout pas prendre de douche .
C’est résolument idiot. C’est absurde. Ça n’a aucune importance. Il faut quand même être capable de passer au-dessus de ces minuscules contingences ! Sinon on n’en sort plus. Tu parles, je veux, oui : plus on se dit ça, plus la salière devient le sujet le plus crucial de l’univers. L’harmonie de l’instant, les yeux de l’être le plus cher au monde, le système solaire, tout cela n’est rien comparé à cette maudite salière. Aucun espoir de vaincre le négligeable petit pot empli de fleur de sel marin. L’objet est maléfique, c’est Satan. Trop près du bord. Ça stresse. À mort. Le moucheron du lion de La Fontaine. Le mieux serait d’abandonner la partie, d’incliner la tête, « respect, petite salière, tu m’as fait mordre la poussière », de tendre la main, de ramener ce petit récipient un peu plus vers le centre, et de revenir à la vie normale. L’os, c’était cette salière.
Mais que faire ? Il ne suffisait pas de tendre la main pour le déplacer, il fallait le passer au spectromètre façon 007 pour un bilan ADN sans appel. J’ai mis de la musique sur la chaîne stéréo.
C’est terrible à avouer, mais cette maudite multinationale suisse avait réussi à faire tenir une montagne péruvienne dans une capsule d’un centimètre cube. Ce qui me gâchait un peu le plaisir, c’était de voir Arnaud avec son pantalon de toile beige retroussé, les pieds bien écartés dans des sandales de marque, visiblement traumatisé par les spots publicitaires de George Clooney, et puis elle, assise bien droit, bien convenable, tenant sa tasse de thé comme si j’étais Élisabeth II, et m’évitant du regard comme si j’étais Pablo Escobar.
Comme un chien de cartoon qui creuse un tunnel. D’abord j’ai cru qu’il avait pris un coup de chaleur, mais il était resté à l’ombre. Il s’est arrêté une seconde, m’a regardé d’un air ravi, et a repris ses travaux d’excavation avec frénésie. Bon Dieu ! Ainsi, ce chien me réservait des surprises. Il avait fallu attendre sept ans pour qu’il se révèle. Il ne pouvait pas y avoir de truffes ici. Un lingot d’or ? Ça n’a pas d’odeur. Du pétrole ? Calmons-nous. Plus probablement un os enterré là par un de ses congénères, ou bien, ce n’était pas à exclure avec lui : rien. Comme ça durait, je lui ai dit : « Ça suffit, allez, on y va ! »
Il y a des gens qui n’aiment pas les chiens, mais peu qui ne supportent pas les peluches. Il n’existe pas de ligues anti-peluches. Or, incontestablement, cet animal est plus proche de la peluche que du molosse.