« Naguère, le cinéma était fait par les riches, pour les pauvres. A présent, il est toujours fait par les riches, mais comme les pauvres restent devant leur télé, le cinéma est fait pour les cadres. »
Ça démarre fort, ces Yeux de la momie,
chroniques hebdomadaires de cinéma parues dans
Charlie Hebdo de 1979 à 1982. Et ça se lit dare-dare, avec beaucoup de plaisir.
Manchette a le sens du verbe et de la phrase qui fait mouche. Et il a une grande culture cinématographique, aime tous les cinémas, parle de nouveautés, de classiques qui ressortent sur les écrans, de fanzines, de magazines, de romans, avoue qu'il n'a pas revu certains films depuis longtemps.
Mais ce qui frappe, c'est sa grande liberté de ton, son je-m'en-foutisme de bon aloi, il assume ses propos, argumente ses critiques, et relaye parfois les quelques courriers de lecteurs fulminants qui lui sont adressés au journal. Et oui, c'était le temps du courrier des lecteurs et non des procureurs 2.0 rendant des verdicts sans argumenter ni confronter les points de vue.
Manchette s'intéresse à tout, aime
Hitchcock, Gene Tierney, Ida Lupino, s'emmerde devant les films néoréalistes, déteste
Godard…
Du coup, on a envie de revoir des tas de films, on note les titres de ceux que l'on ne connait, on se marre quand il lamine avec talent des auteurs (
Semprun), ou des oeuvres que l'on aime (Le Tigre du Bengale et le Tombeau hindou), et on admire ses analyses (Hawks,
Hitchcock par exemple, bigrement intéressant).
Petit florilège, pour les nostalgiques des critiques qui ne riment ni avec copinage, ni avec publicité:
« Au temps où
Costa-Gavras et
Jorge Semprun, et Montand, ont entrepris de critiquer le stalinisme dans
L'Aveu, ils ont choisi de porter à l'écran le témoignage d'un homme d'appareil maltraité par ses collègues, le témoignage d'un stalinien, le témoignage d'un menteur." (
L'Aveu)
« A part ce que l'on savait déjà (
Brooke Shields est mignonne,
Nestor Almendros est un bon directeur de la photo), c'est bougrement vide et emmerdant, quelque part entre
Walt Disney, Connaissance du monde et Paic Citron. » (Le Lagon bleu)
« Un lecteur, Alain Cangina de Cestas, s'insurge vivement (je veux dire qu'il me traite de con) parce que j'ai suggéré que
Marguerite Duras ne sait pas écrire. Il tient qu'elle « a fait avancer la littérature comme personne ». Je suis en réalité, d'accord avec ce lecteur, et aussi avec le Roi Blanc de la Traversée du miroir; qui notait: « Il n'y a rien comme manger du houblon quand on s'évanouit. » Ce lecteur pense que je n'aime pas
Hiroshima mon amour, j'étais au contraire impressionné de constater que c'est un film considérable, alors que son texte, sur le papier, est presque aussi ridicule que du
Paul Eluard (ce qu'il y a de bien avec les grossières provocations, c'est qu'elles sont grossières). »
De plus,
Les Yeux de la momie est doté d'une préface signée
Gébé et surtout d'un Index de films et de noms cités.
Je remercie les Editions du Wombat et Babelio pour l'envoi de cet ouvrage reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.