Il ne faut plus être libre pour comprendre ce que ça fait de ne pas être libre.
Y a des regards comme le sien qui ne te rendent jamais ridicule, qui t'ordonnent de te tenir droite car si tu ne le fais pas personne ne le fera pour toi. Il avait le feeling le psy, pas de prêche à la con, pas de mots en trop, simplement deux prunelles qui t'inoculent le sérum de vérité. Avec lui pas de cause perdue puisque de toute façon y a plus de cause. Il ne s'agit pas de retourner ta veste mais de porter le truc qui te donnera du style même si t'as plus de quoi bouffer.
Y en a qui appellent ça la dignité. Même en bas, t'y as droit et ça, personne ne le dit.
(p. 144)
"Je ne suis pas une bête même si j'ai mordu."
Comment ça peut exister ce genre d'amour ? Le genre d'amour qui autorise l'abandon de soi ?
Il y aurait donc des hommes quelque part dans ce monde qui ne se contenteraient pas de "Suce ma bite" ? Des hommes qui plongeraient leur regard dans l'obscurité du monde sans vulgarité ni haine ?
[...] j'ai bu du Malibu-orange avec Esba et j'ai gerbé sur le paillasson. Ma mère a ri et m'a dit qu'elle avait fait pareil à mon âge. Tu parles d'une référence. Tout le monde copie sur tout le monde. Une vie de faussaire qui reproduit les déceptions à l'infini.
Après la foire d'empoigne, je me retrouve dans une cellule et autour de moi il y a des filles. On dirait des anges avec des cernes bleuis par les emmerdes. L'une me tapote la joue, l'autre brosse mes cheveux, une autre humecte mes lèvres. Son chiffon pue. Je la repousse. Elles rient. Cellule de quatre, la préventive d'avant le procès. Fini les escapades et la robe en lamé sur le dance floor. Pour combien de temps ? Combien de temps ? Je n'en ai aucune idée.
J'ai dix-neuf ans. [...] Comme à l'accoutumée, nous sortons la nuit protégés par nos armures logotypées, toutes incisives dehors. Dans notre bolide allemand nous avançons dans le labyrinthe de la cité. Des sifflets fusent. Esba sort sa main par la fenêtre et brandit le majeur, incontestable. Les sifflets cessent et laissent place à une haie d'honneur mutique. [...]
Les maigres reproches de ma mère me parviennent en écho, de loin. Il n'y a plus rien à faire. Le poison de la vie facile s'est installé en moi. Je n'ai pas l'antidote.
(p. 71-72)
Je les aime bien les filles. J'ai promis des visites au parloir dans les mois qui suivront ma sortie, des mignonnettes de vodka et du gel douche Sephora. Je ne sais pas si je tiendrai parole. Je dis ça pour mettre un peu de soleil. En dépit de cette lose puante, et de cet avenir cristallisé dans le manque de fric, elles sont nombreuses à être amoureuses, à frémir pour un bad boy la boule à zéro avec grosses baskets qui font le pas de danse.
Dans l’impasse du futur, nous revêtons nos habits de beaux gosses pour démontrer que notre violence est plus belle que l’indifférence. Nous ne sommes pas des bêtes, ni même des monstres. Nous sommes le fruit des entrailles du déni
[Sa femme] est en photo sur son bureau. Quelle manie hideuse de téléfilm ! Exhiber sa vie privée en photo, se la taper sans pause du matin au soir. Le rappel à l'ordre du bonheur acquis, personne pour le contredire.