L,honneur et la politique ne sont pas compatibles, mon garçon. C'est la première chose que tu dois apprendre si tu veux régner.
— Tu es mort, murmura une voix derrière David. Tu ne m’as pas senti arriver et tu es mort.
Son parrain, Shimon le Zélote, faisait de son mieux pour l’en dissuader, mais son passé de résistant ne prêchait pas pour la non-violence. Aussi avait-il souhaité initier lui-même David aux techniques de combat afin de préparer le jour où il ne pourrait plus lui faire entendre raison. Et chaque fois qu’ils s’en allaient ensemble chasser ou quérir de l’eau à Qumrân, au puits des marchands, le rebelle s’arrêtait en chemin pour entraîner son filleul.
Le Zélote entraîna son hôte vers l’étable :
— Si tu as une petite faim, la maîtresse de maison éteint ses fourneaux au coucher du soleil. Et je te préviens, elle est à cheval sur les horaires.
— Je ne voudrais pas abuser de ton hospitalité, répondit le centurion en fixant les fenêtres du bâtiment principal.
La silhouette d’une femme s’y découpait.
— Mais… ce sera avec plaisir, convint-il.
— Tu n’as pas le pouvoir de me libérer, fils de chienne ! Juste celui de me faire souffrir.
— Ta diction laisse quelque peu à désirer, tu sais ? ironisa Saül en faisant signe au garde de se remettre en position.
— Tu brûleras en enfer, toi et les babouins que tu as engendr…
La phrase de Nicanor s’acheva dans un cri. Saül venait de lui extraire une deuxième incisive. Et il ne s’arrêta pas là. Il arracha plusieurs dents, sans précaution aucune, à tel point qu’il extirpait des morceaux de gencives avec. La douleur était insoutenable.
— Alors ? demanda Saül en faisant tinter le gobelet qui contenait les chicots. Je t’ai enlevé ton sourire, mais il te reste encore de quoi mâcher. Qui est le chef des Nazôréens ? Est-ce celui qui se fait appeler le Grand Pêcheur ou quelqu’un au-dessus de lui ?
À demi inconscient, Nicanor s’affaissa.
Si seulement je pouvais perdre connaissance, songea-t-il
Shimon s’approcha à quelques centimètres du visage de Longinus. La tension était montée d’un cran.
— Tu blasphèmes, centurion. Je vais devoir te corriger ou te demander de partir.
— Je ne me bats plus autant qu’avant.
— Pourquoi ? Tu es trop âgé ?
— C’est contraire à ma nouvelle foi.
Shimon le jaugea longuement avant de déclarer :
— Je te donne deux heures pour reposer ta monture. Tu auras de l’eau et de la nourriture. Mais si je te revois rôder dans le coin au point du jour, je ne serai plus aussi charitable.
Longinus accepta le verdict d’un hochement de tête. Il regarda son hôte s’éloigner et lui lança :
— Sur le Golgotha.
En entendant ces paroles, Shimon se retourna.
— Pardon ?
— C’est sur le Golgotha que j’ai connu Mariamne de Magdala. Et ce que je veux lui demander, elle seule peut me l’accorder.
Cet homme réalise-t-il seulement les souffrances qui l’attendent ? songea-t-il.
Son visage portait les stigmates des coups qu’il avait reçus. Sa tunique pourpre était maculée de crachats. Mais de ses yeux sombres émanait une sérénité qui troubla Pilate. Un regard pénétrant qui le mit aussitôt mal à l’aise, au point qu’il eut du mal à le soutenir.
La porte s’ouvrit et la chaise à porteur de Pilate, faite de bronze et d’ivoire, apparut en haut des marches. Le gouverneur se pencha pour examiner son problème du jour : un fils de charpentier qui se prétendait envoyé de Dieu, un prêcheur frêle et doux dont les paroles contagieuses avaient terrorisé l’aristocratie locale.
La présentation du prisonnier eut lieu sur le seuil du tribunal car se rendre sous le toit d’un païen, fût-il procurateur, représentait une souillure légale pour les prêtres.