AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de 4bis


4bis
13 novembre 2022
Phoenix faseyant de mille feux, affaissées pourtant, flétries un temps par une pompe trop fastueuse, mes envies de lecture franchissent de nouveaux fronts et festoient au firmament. Ocytocine ! s'écriaient-elles tandis que je résolus d'entamer le Prix Goncourt 1921, Batouala, de René Maran.
Hier néanmoins, faisant face à l'effervescence scripturale de mes amis Babelio qui fourbissent plus de billets et commentaires que ne peuvent les frelons feulant dans un seul quart d'heure, j'égarais concomitamment à mes lectures une oreille sur France culture tandis que Pierre Bayard, au sommet de sa verve, vantait brillamment l'existence non seulement d'univers parallèles mais encore des oeuvres que nos artistes chéris n'ont pas eu le temps d'écrire mais qui n'en existent pas moins (Et si les Beatles n'étaient pas nés, 2022).
On ne peut pas dire que je sois sortie de tout cela indemne. Cette prétention à l'allitération en exergue n'en est qu'un des symptômes les plus légers, et espérons-le, passager.
Là où j'envisageais ce long week-end comme une jolie promenade de santé, à sauts et à gambades forcément primesautières, je me suis en outre peu à peu retrouvée ensevelie sous un tombereau de syntagmes aux usages interlopes qu'il semblait pourtant de la première nécessité de devoir caser.
Caser, voilà qui me ramène non pas à mes moutons, il n'y en a pas en Afrique centrale, il faudrait tout de même me faire l'aumône de votre attention la plus ténue sinon on ne va pas s'en sortir, non pas à mes moutons donc mais aux « m'balas, éléphants aux entrailles toujours pleines de flatulences », béngués, vounbas, antilopes et gogouas qui peuplent Batouala de leurs meuglements, chevrotements et autres ricanements. C'est la brousse qui exsude la vie gouailleuse, la brousse qui fermente brumeuse. Et dans la brousse, Batouala, héros éponyme, homme puissant, respecté, ses huit femmes et son rival, le trop beau, trop désirable Bissibi'ngui.
Comme le rappelle Amin Maalouf dans sa préface, Batouala a fait scandale et l'adoubement que constituait l'octroi du prix Goncourt De 1921 n'a pas suffi à éteindre le feu des critiques quant à son anticolonialisme. Nous sommes dix ans avant la parution de Tintin au Congo, dix ans aussi avant que n'émergent les premières voix d'élites africaines demandant l'autodétermination. Bien avant les écrits de Fanon, la négritude de Césaire et Senghor.
L'an dernier, voyant tout ce que ce centenaire anniversaire pouvait avoir d'intéressant pour éclairer notre 21e siècle, Albin Michel a publié à nouveau Batouala. Et c'est là que se rassemblent les voies éparses de ce week-end épique et que Pierre Bayard trouve son usage. Car lire Batouala en 2022 comme un brulot anticolonialiste, c'est s'exposer à une amère déception. Certes, la préface est peu amène pour les colonisateurs, elle décrit leur alcoolisme, leur incurie, leur cruauté. Certes Batouala ne ménage pas ses insultes contre les blancs et les maudit jusqu'aux derniers moments de son agonie. Mais c'est bien là la moindre des choses trouvera le lecteur de 2022.
Aussi ce n'est pas dans cette attaque contre les colons que réside, à mon sens, le sel de ce roman. Et ce serait faire un bien mauvais Goncourt que de le résumer à une charge « à lire d'urgence en 2021 » comme le fait, racoleur, le bandeau d'Albin Michel.
Ce qui rend agréable la lecture de ce roman n'est pas non plus son rythme endiablé, le flot incessant de ses péripéties. A vrai dire, il se passe assez peu de choses du point de vue des humains et les journées s'écoulent sans justement que les blancs soient complètement parvenus à les remplir d'inutiles et trépidantes actions.
Mais Batouala est plein des rumeurs de la brousse, plein des cosmogonies qui éclairent le monde d'un jour ironique, plein d'une langue riche et flamboyante qui m'a rappelée celle de Michaux. Peut-être n'est-ce pas tant un bon roman qu'un immense poème au charme envoutant.

Commenter  J’apprécie          1813



Ont apprécié cette critique (18)voir plus




{* *}