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Critique de kielosa



Nous pouvons nous estimer chanceux que l'historien, Olivier Cariguel, a sorti en 2017, le témoignage tout à fait exceptionnel de notre compatriote, Marylie Markovitch, sur la chute des Romanov et l'avènement du régime communiste en Russie, de l'ombre, l'a préfacé et admirablement annoté, un centenaire après sa publication initiale, en 1918 !

Le nom de baptême de cette Marylie, poétesse et globe-trotteuse, est Amélie Néry et elle venue au monde à Lyon en 1866, ce qui fait qu'elle soit partie pour la Russie, en 1915 pour 2 ans, la veille de ses 50 ans. Pas évident, à cette époque et à cet âge !
Comme unique Française présente à un moment et à un endroit crucial de l'Histoire, il est tout à fait injuste, voire scandaleux, qu'elle ait glissé pratiquement complètement dans l'oubli. En effet, à part du temps à autre un historien qui lui consacre une note de bas de page, il n'y a eu que la grande historienne britannique, Helen Rappaport, pour citer plusieurs passages de l'oeuvre de Marylie dans son ouvrage "Caught in the Revolution : Petrograd, 1917" de 2017 (prise dans la révolution, mais pas traduit en Français).

Malgré tous ces efforts de recherches, Olivier Cariguel n'a pas pu reconstituer la jeunesse de notre Marylie, faute de sources. On sait qu'elle a habité à Oran en Algérie, qu'en 1890 elle a épousé le médecin Hubert de Romiszowski, qui est décédé 3 mois plus tard, à 35 ans et qu'elle a été enseignante à Montélimar. En 1896, à 31 ans, elle s'est remariée avec l'ingénieur des mines, Édouard Benoit dit Markovitch, de parents russes, vivant à Genève et 5 ans plus jeune qu'elle. Deux ans plus tard, est né son unique enfant, Manoël, qui épousa en 1927 Julie Lafond, une aide-dentiste, qui survivra à son mari, mort en 1960, de 16 ans. C'est en 1918, qu'elle a appris que son second mari est mort, mais on n'a pas plus d'informations.

Marylie Markovitch aimait l'écriture et a sorti, en 1901, son premier ouvrage "Pour l'école et la France. Théâtre de jeunes filles, monologues, récits, saynètes, comédies", qui a reçu un prix de la Ligue de l'Enseignement. En 1905, a suivi un recueil de poésies "Les Cloches du passé ", qui lui a valu le prix du magazine "Femina", et, en 1907, elle a publié un roman "Le Dernier Voile" sur les moeurs de couvent. En 1914, elle a écrit "La lutte contre l'alcool : Les enfants du dimanche" et un 2e recueil de poésies "La Vie harmonieuse". Elle a, finalement, remis les manuscrits de 2 pièces de théâtre à la très célèbre Sarah Bernhardt.

Mais c'est davantage par ses articles dans la presse, qu'elle s'est construite un nom et une réputation dans plusieurs domaines : le féminisme, la fraternité avec les peuples d'Orient, la lutte contre l'alcoolisme et l'éducation morale. Elle a voyagé au Moyen-Orient, en Iran, et aux Indes, et a étudié l'islam et des religions orientales. En 1908, elle est devenue secrétaire générale du mensuel français "L'Islam". Notre Marylie était également sociétaire de la Société des gens de lettres, SGDL.

C'est fin mai 1915 que Marylie Markovitch part en Russie comme envoyée spéciale du "Petit Journal", et donc collègue d'Albert Londres et Paul-Émile Victor, un quotidien qui tirait alors à 850.000 exemplaires et comme correspondante de la "Revue des Deux Mondes", qui avait nettement plus d'abonnés et de lecteurs qu'aujourd'hui.
En cours de route, elle profita de son long voyage pour rencontrer à Stockholm la Nobel Littérature (1909), Selma Lagerlöf.

S'ils y avaient à Petrograd (Saint-Pétersbourg de nos jours) quelques journalistes français, tels Claude Anet et Ludovic Naudeau, elle était bien la seule femme française et avait sûrement un avantage sur ses collègues masculins, d'autant plus qu'elle parlait Russe et pouvait interroger n'importe qui et passait plus aisément les nombreux contrôles de police. Elle se débrouillait aussi beaucoup mieux avec la censure extrêmement pointilleuse.

C'est probablement la raison pour laquelle elle a réussi au moins 2 fois à interviewer Alexandre Kerenski (1881-1970), leader du Parti socialiste et, en juillet 1917, Président du gouvernement provisoire de Russie et qu'elle a réussi à rencontrer la tsarine Alexandra Féodorovna (1872-1918), épouse du dernier tsar Nicolas II, à Tsarskoïé-Sélo, la résidence impériale.

L'auteure n'est cependant pas une défenseure du régime autocratique, qui a commis de graves erreurs et permis (comme Poutine maintenant) une corruption inquiétante. Elle ne se contenta pas d'interviews, mais ayant peur du chaos et de la violence, pour savoir elle a parcouru ce vaste empire : Riga, la Crimée, la Galicie, Tchartorisk en Volhynie etc.

Sa curiosité la poussa jusqu'au front, parfois en robe blanche d'infirmière de la Croix-Rouge ! Outre ses articles, il y a le témoignage de Tatiana Aleksinskaïa : "Parmi les blessés : Carnet de route d'une aide-doctoresse russe" et traduit par son mari Grégoire, ex-député à la Douma (parlement) et paru chez Armand Colin en 1916. Elles se sont retrouvées ensemble dans des trains qui servaient d'hôpital.

En août 1917, Marylie Markovitch fait le voyage de retour, les 2000 kilomètres de Petrograd à Paris et 12 postes frontaliers. Cela lui prend 13 jours et 13 nuits et elle débarque à Paris complètement épuisée et malade.

Les 8 ans et demi qu'il lui reste à vivre, une fois terminé son journal de Russie, c'est également un long chemin, mais de souffrance, passant de cliniques en maisons de repos. Ce qui me met carrément en colère, c'est que sans le sou, elle a été obligée de quémander un peu d'aide financière à la SDGL. La pauvre n'a plus rien écrit non plus et est morte, abandonnée, à Nice le 9 janvier 1926, à seulement 60 ans.

Son témoignage constitue un document historique unique et j'admire l'excellent travail entrepris par Olivier Cariguel.

Je termine sur une note qui en dit long sur l'atmosphère à Petrograd à son arrivée et que Marylie Markovitch a décrite comme suit : Ici on danse sur un volcan, comme ce fut le cas en 1789. "Dans les librairies de Petrograd, les clients se précipitent pour acheter des livres sur la Révolution française". Extrait de son article du 17 mars 1917.
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