Réalités des camps de réfugiés haïtiens, plongée dérangeante par le biais d'un écrivain en crise...
Publié en 2012, le sixième roman de l'Haïtienne
Kettly Mars est moins matois que le terrible "
Saisons sauvages", mais sans doute encore plus abouti et probablement plus dérangeant.
Fito, écrivain haïtien approchant la cinquantaine, tout auréolé du retentissant succès international de son précédent roman, il y a déjà six ans, "cale" désespérément sur l'écriture du suivant. Au milieu d'une Haïti ravagée par les récents séismes et leurs dégâts collatéraux, il a accepté, pour vivre, une mission d'évaluation grassement rémunérée par des ONGs portant sur les gigantesques camps de réfugiés qui fleurissent gaillardement dans les environs de Port-au-Prince... Divorcé, ne se résolvant pas à épouser sa maîtresse "officielle", en proie à la dépression et à une crise existentielle de plus en plus profonde, il réalise, à sa grande horreur mais en se trouvant des excuses, au contact des innombrables trafics des camps qu'il fréquente, que seules les fillettes pré-pubères parviennent désormais à l'exciter...
Sur ces prémisses bien scabreuses,
Kettly Mars nous donne à voir l'Haïti contemporaine, avec le froid et cru réalisme qu'on lui connaît, comme dans le récent recueil "Haïti Noir" paru chez Asphalte auquel elle participait - mais nous propose aussi une singulière quête de reprise en main du soi et de la rédemption, à l'issue bien incertaine...
"Fito prit un chemin pierreux sur la droite. Il fallait d'abord longer Corail, le camp de sinistrés aux rangées ordonnées de tentes plantées par les soldats étrangers. Canaan, plus haut, couvrait dans la plus parfaite anarchie une coulée de mornes nus dominant la route du Nord et rejoignant sur l'autre versant, en direction de la nationale n°3, les contreforts du Morne-à-Cabris. Une terre de tuf, ingrate et chaude. Quelques rares touffes de neems et des cactus auxquels les déplacés avaient arraché des carrés d'emplacement. Canaan, un mélange de femmes, d'enfants, d'hommes, de rires et de pleurs, de faims et de soifs. Une agglomération chaotique de carrés en contreplaqué et de maisons-bâches à dominante bleue, étampés de sigles internationaux, qui avait grandi comme un immense champignon, rampant vite d'un morne à l'autre, les recouvrant d'une maille de vies déplacées. Au-delà du chaos apparent, une organisation subtile régissait l'endroit. Il y avait déjà Canaan 1 et Canaan 2 et, au rythme de l'avancée humaine, d'autres Canaan continueraient de s'étendre dans les creux assoiffés de la terre. Quelques maisons en dur poussaient çà et là, fixant le lieu dans sa topographie de bidonville officiel en devenir. Et la poussière partout, dans les cheveux, kes yeux, les mains, la raie des fesses, les jambes, incrustée au plus intime des vies. Un endroit sec et seul."