Kettly Mars - Lange Du patriarche
"Elle n'est pas juste, cette chienne de vie... mais nous n'en avons qu'une et il faut la vivre avec ses douleurs"
La mer au seuil de la chambre…
La mer au seuil de la chambre
abandonne algues et conques.
Il n’est barque qui n’accoste
aux marches d’une alcôve,
ni bateau qui ne livre ses gréement
au havre d’une épaule.
La mer dans la chambre,
son soleil dans une main,
mouille aux sables de quatre murs
À l’heure où se meurt l’écume
commence l’odyssée d’un lit,
toutes voiles déployées
sur nos marées intérieures.
J'ai rejoint le club de maîtresses de macoutes, de celles qui jouissent de privilèges évidents mais qui connaissent aussi la précarité de leur position dans cette Haïti où le pouvoir joue sans cesse à une macabre chaise musicale. Après être passée par de douloureuses phases de détresse, jai arrêté d'avoir honte, de fuir le regard des autres, de me torturer, de me condamner.
Étrange, les choses qu'on ne dit pas par pudeur dans un couple, même les très vieux couples comme nous l'étions encore jusqu'à l'an passé.
L'électricité du bijou pénétra sous ma peau, comme un virus. Dans la rue je me suis sentie une autre femme, m'attendant à ce que chaque personne que je croise découvre sur mon visage l'empreinte du désir du secrétaire d'Etat. Un sentiment qui me troubla au plus profond de mon être.
« Tout le monde doit vivre, les choix étaient serrés, il fallait chacun inventer son pire. C’est la vie même qui est dure. » (p. 95)
Être nègre est un état d'humanité dangereux. Être nègre comporte le risque de se retrouver à tout moment pendant au bout de la corde d'une potence improvisée. Être nègre en cette fin de dix-neuvième siècle, c'est se savoir différent, dérangeant, marginal et en danger
Les femmes et les hommes partout dans le monde attendent tous quelque chose. La guérison pour les malades, la fin de semaine pour les travailleurs, du boulot pour les chômeurs, les grandes vacances pour les écoliers, le retour de Jésus pour les chrétiens, du pain pour les affamés, de la came pour les camés, l'inspiration pour les poètes, le pouvoir et toujours plus de pouvoir pour les politiques, encore plus de millions pour les millionnaires, du sang pour les vampires, l'amour tendre ou dévorant pour les esseulés. La liste est infiniment longue. Tout le monde espère toujours quelque chose au point d'en oublier que l'instant présent est celui qu'ils attendaient l'année passée, la semaine dernière ou même hier. Que chaque soleil est un cadeau qu'aucune fortune ne peut acheter. Que chaque soleil est un tourment sans nom pour ceux qui souffrent dans leur corps ou dans leur âme et appellent la délivrance de l'obscurité ultime. Ils en oublient d'être heureux, d'être juste dans ce moment présent, encore debout, encore lucides et désireux. Bien sûr, on peut se consoler en pensant à l'immortalité ou à l'éternité, mais elles commencent bien un jour, peut-être aujourd'hui, dans cet instant.
Et s'il écrivait Canaan ? Et s'il vomissait sur des pages blanches toutes ces douleurs, toutes ces émotions qui lui lacéraient la peau, cette immense misère humaine ? Ne serait-ce pas mieux que d'aller chez le psychologue ?
Comment une même terre pouvait-elle engendrer tant de frontières ?