Roman tout en finesse,
cet été-là est construit tel un puzzle dont il manquerait la pièce centrale.
Cette pièce, c'est ce qui s'est exactement passé à Tower Hill, Indiana, le cinq juillet de cet été, au début des années soixante-dix.
"Ou peut-être croyez-vous connaître la fin. Peut-être même avez vous décidé qui est bon et qui est mauvais."
La fin, le début, le milieu ... Tout le livre gravite autour de la
disparition de Katie Mackey ce jour-là, point d'orgue culminant d'un labyrinthe de dates et de points de vue. Lee Martin nous parlera du drame, de la façon dont les personnages l'auront vécu, et en témoigneront encore trente ans plus tard. Il nous racontera ce qui s'est passé les jours qui ont précédé, ce qu'il est advenu peu de temps après, nous donnant à doses homéopathiques les indices ou les informations nécéssaires à la reconstitution des évènements.
"Katie Mackey, neuf ans, un mètre trente. Trente-trois kilos. Yeux verts. Cheveux châtains. Vue pour la dernière fois vêtue d'un short orange et d'un t-shirt noir.".
Ce rayon de soleil, "fillette habituée à être aimée", avait oublié de ramener les livres empruntés à la bibliothèque et partira cette fin d'après-midi les restituer, sur ordre de ses parents bienveillants, pédalant pieds nus sur son vélo.
Elle ne rentrera pas.
Les Mackey habitent le quartier riche des Heights.
"Une famille comme les Kennedy, qui captivait le pays avec son charme, sa fortune, sa beauté". C'est Gilley, le grand-frère, qui va ici relater trente ans plus tard les circonstances entourant la tragédie. Ce courageux garçon qui avait alors dix-sept ans représentera donc sa famille anéantie et révoltée.
A Tower Hill existe également un quartier défavorisé : Gooseneck. Ces deux mondes que tout oppose vont cependant se rejoindre puisque c'est là-bas qu'habite l'homme qui pourra aider Katie à progresser en arithmétique, son gros point faible. Ils seront trois habitants de Gooseneck à prendre tour à tour la parole.
- Clare tout d'abord, qui a perdu son premier mari et nous est dépeinte comme "trop timide, trop ordinaire".
"C'était juste une femme sans charme et simple qui n'a pas eu de chance."
Témoin privilégié, elle a côtoyé les deux hommes qui seront tour à tour soupçonnés d'être responsables de la
disparition : Son voisin, et son récent époux, Ray.
- Raymond R n'a droit qu'à quelques chapitres très courts. Ce sont ses mots qui ouvrent le roman lors d'un probable
interrogatoire de police :"Je ne dis pas que je ne l'ai pas fait. Je ne sais pas."
Ray a deux facettes : celle de l'époux aimant avec lequel Clare est heureuse, parce que parfois il suffit de bien peu de choses pour avoir l'impression de toucher le bonheur du doigt ("nomme ton paradis, chérie.").
Mais également un aspect plus sombre : "C'était un abruti, un débile, un crétin, un connard, un loser." Un homme qui aime rendre service à ses voisins, un ancien militaire reconverti dans le bâtiment passant souvent pour un monsieur je-sais-tout. Ses nombreux problèmes, notamment financiers expliquent probablement son ressentiment pour les personnes plus favorisées vivant dans les Heights.
- le voisin Monsieur Dees est sans doute le personnage le plus ambiguë, effrayant et énigmatique. Professeur de mathématiques, célibataire, il donne quelques cours particuliers l'été. Ca arrondit les fins de mois mais il le ferait de toute façon juste pour ne pas rester seul.
"je n'ai pas beaucoup d'amis. J'ai tendance à rester dans mon coin."
"M Dees avait toujours eu un comportement différent des autres, comme s'il était dans son monde à lui."
Et c'est cet homme bien sûr que sollicitera Junior, le père de Katie, pour que la petite puisse progresser dans le calcul de fractions.
Parfois pédagogue, parfois maladroit, M Dees remplira sa mission et enviera cette famille aisée à qui tout a réussi et sera profondément troublé par cette enfant, pour qui il éprouvera des sentiments déplacés. Une forme d'amour oui, mais celui d'un petit garçon, celui d'un père ou un désir plus pervers ?
"Je sens encore ses cheveux qui me chatouillent le bras quand elle se penchait sur son cahier. La première fois que ça c'était produit, j'avais éprouvé une chose que je n'avais pas su nommer, un étrange mélange de désir et de peur."
Ce monsieur Dees est le pilier du roman. C'est lui qui prend le plus souvent la parole, c'est lui qui connaît les secrets de différentes familles, et c'est lui encore qui fait le lien entre les quartiers.
Est-ce que la fillette est morte ?
L'un de ces deux suspects est-il réellement coupable comme Lee Martin semble nous le faire croire ?
Qui d'autre aurait pu jouer un rôle ? Que s'est-il exactement passé ?
Cet été-là est un roman intriguant, noir et subtil, qui dresse le portrait de l'Amérique des années 70 d'un point de vue historique ( attentats Irlandais, guerre du Vietnam ), culturel ( chansons, voitures ) et social.
J'ai souvent pensé au roman Au lieu-dit Noir-Etang de
Thomas H Cook, dans lequel on retrouvait une tension dramatique similaire, une psychologie très travaillée de personnages représentatifs d'une époque, le même lent et inéluctable dénouement d'une tragédie qui se précise progressivement. Et dans les deux oeuvres, nous avons des professeurs - qu'ils soient de lettres, d'arts plastiques ou de mathématiques - éprouvant une forme de passion non admise par la société. Cependant, ce qui est vrai pour l'ambiance ne l'est pas pour l'écriture, que j'ai trouvée un peu moins belle ici.
Ce roman m'a parfois complétement transporté, je vivais cet été tantôt ensoleillé, tantôt moite et pluvieux avec les personnages, j'étais dans leur tête à me poser des questions similaires.
Mais par moments ma lecture a été ralentie. J'ai été gêné dans mon rythme par des descriptions sans lien avec le drame et par de nombreux anglicismes ( noms de rues, de chansons, de jeux ) qui ont freiné ma lecture.
L'époque ne m'a pas beaucoup intéressé et de nombreuses références m'ont échappé malgré le gros travail de Lee Martin, notamment au niveau des choix musicaux, expliqués en postface.
Par contre, j'étais en terrain connu avec les romans de Laura Ingalls, et choisir Un hiver sans fin comme livre de bibliothèque de Katie, comme un contrepied à la saison estivale, m'a paru très pertinent.
J'ai aussi été déçu par la fin. Je m'attendais à une dernière révélation, un dernier secret plus explosif.
A mes yeux le roman aurait pu être excellent et j'aurais tendance à le recommander, ses imperfections de rythme étant probablement liées à mes propres lacunes culturelles. Si son sujet n'a rien d'inédit, la construction et l'empathie qu'on ressent pour les différents personnages valent à eux seuls le détour à condition d'adhérer à ce genre de style lent et prenant à la fois.