Citations sur Défense de Prosper Brouillon (11)
A Saint-Germain, le fiel inonde les prés. On ne sait plus avec quoi l'éponger. Quel buvard absorbera les bavards du boulevard ? On manque aussi de soude caustique pour dissoudre l'amertume. (p. 13)
En traînant chez les soldeurs, vous tomberez peut-être sur un de leurs ouvrages dédicacé. Car oui, tout de même, ils vendent quelques livres, mais ce sont ceux de leurs confrères. Aux libraires d'occasion. Enfin, pour ce qui est de l'occasion, je vous engage à juger de ce qu'elle vaut en parcourant ces pages, sachant que pour le même prix le glacier du coin vous servira trois boules parfumées dans un fin cornet de gaufre. L'art est difficile, comme je vous le disais. (p.21)
Cette lecture est une épreuve, dans un certain sens, de celles qui vous changent radicalement. Après avoir lu par exemple: "Nos pas crissaient sous la neige", votre rapport au monde se modifie du tout au tout. On peut même dire qu'il s'inverse. L'ordre des choses a vacillé. Un tremblement de terre de force 9 sur l'échelle de Richter n'obtient pas toujours des résultats aussi probants (il y a des survivants).
Leurs grimaces ont tant souillé les vitrines des librairies du quartier que celles-ci ont préféré fermer. Se vendent à présent dans ces boutiques des costards étriqués pareils à ceux qu'ils taillent aux écrivains véritables et des plastrons avantageux pour leurs torses creux. (p. 8)
Il n'y a qu'à Saint-Germain-de-Prés, urbi et orbi, donc, dans ce petit milieu consanguin où les passions rancissent, où l'âme suffoque et se racornit comme un ballon crevé, que l'encre aussi tourne au vinaigre. Le succès est immédiatement puni. Nul ne sait simplement s'en réjouir, l'accueillir, le célébrer. (p. 7)
La lecture est une opération bénigne. La littérature est bonne fille, elle suce sans mordre.(page 17)
La tension retombe. Comme dans tout bon western (il faudrait revenir sur la prégnance des grands mythes de l’Ouest américain dans l’œuvre de Prosper Brouillon, même si ces réminiscences bien souvent s’étoffent de détails empruntés à son Poitou natal), des moments de méditations calmes, de conversations feutrées sur le sens de la vie et les fins dernières, ralentissent le récit, étirent efficacement le suspense jusqu’aux limites septentrionales de l’ennui et lestent Les Gondoliers d’une gravité nouvelle comme ces galets mélangés aux chatons que l’on choisit de la couleur de leur pelage afin de ne pas stresser inutilement les pauvres bêtes avant l’immersion du sac dans le puits.
D’ailleurs, Prosper Brouillon ne l’ignore pas, ‘il y a un moment où une femme doit choisir entre son visage et son corps. Grâce à la graisse, elle avait sauvé sa figure (…), mais elle était devenue énorme en dessous.’ Quel admirable portrait ! Au-delà de Reine, l’auteur atteint à l’universel en saisissant là quelque chose de l’éternel féminin. Oui, je crois que toutes les femmes s’y reconnaîtront. Il faut décidément que Brouillon ait en lui un peu de leur mystère pour les comprendre si bien.
Ecrire et buriner, c’est pareil.
Ce livre s’adresse ainsi aux désespérés, aux nostalgiques convaincus que nous nous essoufflons, que les plus belles pages de notre littérature ont été tournées depuis longtemps et jaunissent derrière nous, et qu’il ne reste plus rien à écrire