Citations sur Le rêve brisé (10)
King est habitué à ce type de situation. Depuis 1953 qu’il mène un combat rude et dangereux, il a été victime d’innombrables menaces et agressions. En janvier 1956, une bombe est déposée sur le seuil de sa maison. La même année, juste avant Noël, des coups de feu sont tirés sur sa façade. En 1957, une nouvelle bombe est désamorcée de justesse avant d’avoir pu exploser. L’année suivante, alors qu’il dédicace un livre dans une librairie de Harlem, Isola Wade Curry, une Noire souffrant de paranoïa et prêtant foi au « communisme » de King, lui plonge un coupe-papier dans la poitrine, occasionnant une grave blessure qui lui vaut une hospitalisation de treize jours.
La haine – le mot n’est pas trop fort – personnelle éprouvée par J. Edgar Hoover envers King, pour incontestable qu’elle ait été, a trop souvent joué le rôle de l’arbre qui cache la forêt, car elle présentait l’intérêt de dédouaner les responsables politiques et pouvait faire accroire à une violation des lois, monstrueuse peut-être, mais imputable à un seul individu, et non à un gouvernement, au ministère de la Justice et à plusieurs présidents successifs.
Depuis cinquante ans, l’assassinat de Martin Luther King ne cesse de faire couler de l’encre et le cinquantenaire de ce drame, qui priva les Noirs américains d’un de leurs défenseurs les plus acharnés, verra sans nul doute s’affronter une nouvelle fois partisans de la conspiration et tenants de la vérité officielle.
Les Noirs de Memphis, comme d’ailleurs, ne sont pas exempts de contradictions !
« Nous craignons que dans le tumulte des passions qui règne en ville, quelqu’un puisse attenter à la vie de Martin Luther King. » Ce à quoi l’intéressé réplique vertement. Autorisée ou interdite, la marche se tiendra. Quant aux risques qu’il court, il les assume résolument : « Il n’y a pas plus de raison d’avoir peur maintenant que par le passé… Je préfère être mort plutôt que terrorisé. »
King est successivement taxé de « Judas qui mène les agneaux à l’abattoir », de constituer « une des plus grandes menaces pour l’Amérique » et on l’accuse d’avoir choisi « après sa fuite précipitée » de se rendre « dans le luxueux Holiday Inn Rivermont et d’y prendre une chambre à 29 dollars la nuit ». Les qualificatifs les plus infamants se succèdent : King est pêle-mêle, un « lâche », un « fou », un « voyou », un « pervers », un « fouteur de merde » et, comme il fallait s’y attendre, au mieux un « pantin des communistes », au pire « un de leurs agents ».
Depuis des années, les sirènes sont synonymes de malheur et de violence. Les manches déroulées, les lances pointées, les jets glacés vont suivre. Capables de vous projeter à terre, de vous crever un œil, de vous laisser au sol, bras et jambes cassés, que vous soyez homme, femme, vieillard ou enfant. Dans le Sud, le pompier c’est le supplétif du flic. Personne n’a oublié les images de Birmingham ou de Selma.
« Tous autant que nous sommes, SNCC, CORE, SCLC, Nation de l’Islam ou OAAU, nous sommes infiltrés. Truffés d’indics et d’agents provocateurs. Apprenez à les reconnaître. Cherchez celui qui gueule le plus fort, le plus intransigeant, le plus pur, le moins accessible au compromis et aux alliances, le plus violent dans les manifestations. Celui-là, soyez-en sûrs, c’est notre homme, ou plutôt celui de la police ou des fédéraux ! »
« Les plans les mieux ourdis des souris et des hommes souvent ne se réalisent pas », selon le vers du poète Robert Burns, qui servit de titre au roman de John Steinbeck et que King aimait parfois à citer. Le 21 mars, Memphis est balayée par le blizzard et ensevelie sous quarante centimètres de neige. La ville entière est paralysée. On est obligé d’ajourner la marche au 28 mars et King s’envole en direction de Washington pour une conférence et la préparation de la future marche qui doit s’y dérouler à l’automne.
Les éboueurs sont des travailleurs sans statut, non qualifiés, payés à l’heure (1,60 dollar), susceptibles d’être licenciés à tout moment sans recours légal. Il ne leur est fourni ni tenue de travail, ni gants, ni protection contre la pluie et le froid ; ils ne disposent d’aucun local muni de douches, alors que le ramassage se fait à la main, que les poubelles de métal sont lourdes à déplacer, qu’aucun tri n’est pratiqué. On les appelle communément les « vautours marchant ».