Mine de rien, la (re)publication de
L'Enfance Attribuée de l'auteur américain
David Marusek est une belle Madeleine de
Proust pour les éditions du Bélial' car c'est en 1999 que cette novella fut traduite à l'origine par ce qui était alors une toute jeune maison d'édition.
Vingt-ans plus tard, voilà que
David Marusek fait son entrée dans la fameuse collection Une Heure-Lumière aux côtés de Ian R. McLeod,
Ken Liu ou encore
Lucius Shepard. Si l'écrivain s'est fait discret en France depuis la parution en 2008 d'
Un Paradis D'enfer chez Presses de la Cité (qui est d'ailleurs basé sur la présente novella), il était temps de le remettre sur le devant de la scène en attendant la traduction à venir de The Wedding Album chez le Bélial' !
Une étrange fin de siècle
L'Enfance Attribuée (étrange traduction du titre original We were out of our minds with joy) ne se concentre pas que sur la maternité et la question du contrôle de la population, bien au contraire.
Après quelques lignes où le narrateur Sam Harger, artiste en design intérieur et emballages, nous explique qu'il a été choisi avec sa femme Eleanor Starke, femme politique extrêmement influente, par le Ministère de la Santé et des Affaires Sociales pour concevoir un enfant, le récit nous transporte en 2092 où le monde que nous connaissons a, pour le moins, radicalement changé.
Ce qui surprend pourtant avec
David Marusek, c'est qu'au lieu de trouver des prétextes pour nous décrire longuement cet univers, l'américain nous pousse tout nus à l'intérieur de son imagination pour nous en imprégner et tenter de décrypter ce qu'il s'y passe. Autant dire que ceux qui aiment être pris par la main risquent d'avoir quelques difficultés d'adaptation au cours des premières pages.
Sam vit dans un monde où les hologrammes et autres I.As personnelles sont partout, des colonies ont été établies dans l'ensemble du système Solaire et au-delà, une Milice Nationale maintient la sécurité génétique et cellulaire face à des énigmatiques pestes moléculaires circulant dans l'atmosphère et les océans, et surtout la procréation naturelle est interdite puisque les humains vivent désormais des siècles voire des millénaires. Pour les tâches quotidiennes, le supermarché, le restaurant etc… ce sont des clones qui assurent les basses-besognes tandis que les Altérés, ceux qui ont été en contact avec l'une des pestes moléculaires ou sont devenus hors-la-loi pour une raison ou une autre, tentent de survivre avec un patrimoine génétique revu à la baisse et les privant du fait de la quasi-immortalité en vigueur.
Sans entrer davantage dans les détails, il reste une foultitude de mystères et de non-dits dans
L'Enfance Attribuée et qui constitue en réalité son charme puisque le lecteur peut ainsi s'imaginer ce qui n'est pas franchement décrit par le narrateur, Sam Harger, certainement la personne la plus proche de l'humain d'aujourd'hui malgré ses nombreuses années au compteur.
Contrôler l'humanité
Ce qui fascine dans
L'Enfance Attribuée, c'est d'abord l'envahissement de la vie quotidienne par une technologie de pointe qui semble ne plus rien laisser au hasard y compris dans les rencontres et les relations. Eleanor et Sam tissent donc une relation à cheval entre l'émotionnel et le contrôlé, un peu dérangeante sur les bords mais rassurante dans un monde où le totalitarisme passe sans cesse à l'orée du champ de vision du lecteur. Puis, petit à petit,
Marusek explique que la décroissance est devenue une nécessité devant l'immortalité des êtres humains. La procréation et les rares permis accordés n'ont en réalité plus rien à voir avec une gestation classique. Ce qui pourrait apparaître comme un cauchemar n'est pourtant jamais véritablement décrit comme tel et l'américain semble constamment s'interroger sur ce profond besoin biologique (notamment féminin) d'enfanter. Chose encore plus rare,
David Marusek ne voit pas forcément ici la limitation de la population terrestre comme une horreur mais comme une nécessité (face au non-vieillissement du reste de l'humanité certes, mais également face à la possibilité d'émigrer sur une autre planète, possibilités que nous n'avons pas actuellement d'où la surpopulation dramatique que nous connaissons).
Basculant au deux-tiers dans son récit dans un cauchemar à la Brazil,
L'Enfance Attribuée expose la fragilité de ce monde où l'artificiel peut détruire un être humain en quelques secondes. Coup monté ? Simple erreur ? Il n'y aura pas de réponse de la part de
Marusek mais une constatation de l'impossibilité de contrer le mastodonte technologique et le croque-mitaine d'une autorité toute puissante refusant toute négociation.
De retour à la condition humaine et à l'entropie, le récit s'achève sur une note aussi amère que glaçante où tout ne devrait être que joie…Devrait.
Remarquable novella regorgeant d'idées et d'inventions étranges,
L'Enfance Attribuée nous plonge dans un univers totalitaire et contrôlé où la question de l'humain revient forcément sur le devant de la scène.
David Marusek imagine ici une société transfigurée où l'homme, l'I.A et l'enfant s'avèrent des concepts nouveaux et fluctuants…et c'est passionnant.
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