Citations sur Tout est mal qui finit pire (15)
Le son tombe des nues, puis vient un silence bizarre qui fait siffler mes oreilles. C’est l’heure où le club du Troisième Œil ferme ses paupières. Impitoyables, les lumières s’allument et jettent leur lucidité cruelle sur nos faces de déterrés ; pourtant, même après une nuit blanche, ma nouvelle copine reste carrément potable avec ses cheveux bleus et le bel ovale de son visage.
Perso, j’ai entendu ce que Chanelle a susurré dans le creux de l’oreille de son heureux élu, mais je me tais par respect. Tout ce que je peux te dire, c’est que cette coquine le mène à la b(r)aguette et, à 100 euros le gramme, ça doit lui coûter cher la gâterie ; mais ça, c’est une autre histoire. « Et si on revenait au business », je propose, pas qu’un peu intéressé, vu que chuis grave sur la brèche
La gueule de Tcheuk se crispe méchamment, ses mâchoires tendues par le speed et ses pupilles dilatées n’annoncent rien de bon. Tous ces signaux hurlent : « baston », mais il referme sa grande bouche et serre les dents. S’il n’y avait pas autant de bruit ici, je suis sûr que j’entendrais grincer ses ratiches tellement sa mâchoire est crispée. Il doit crever d’envie de lui dire qu’il est pas son pote, qu’il a pas fait les foyers comme nous, et que c’est qu’un putain de Norm' Man, mais il la boucle poliment. Lui aussi doit avoir besoin de liquidité.
Chanelle m’a poussé à bout. J’ai tout donné, et là, j’en peux plus. Vraiment. Personne ne me comprend. Chanelle fait ses études, mes cassos de potes passent leur temps à s’astiquer la nouille... et moi ? Je bosse !
Pour de vrai. Pas dans un bureau à la con à cliquer sur un ordi. Non, moi, je fais un travail physique, toute la semaine, sur les chantiers. Qu’il pleuve ou qu’il vente, je me lève tous les jours aux aurores pour finir tard, sans compter mes heures. Pourquoi est-ce qu’elle comprend pas que j’arrive au bout de ma vie ?
Faut pas que je me perde dans mes souvenirs. Il faut que je l’arrête avant que cette histoire tourne au drame. Y a trop de témoins et Tcheuk finirait en prison. Et ça, je crois qu’il ne le supporterait pas. Et moi non plus ; parce que c’est de ma faute s’il en est là. Il est encore venu à mon secours. Toujours le même schéma ! Un peu comme une malédiction...
Et son souffle chaud me fait un effet de malade. J’ai l’impression que sa voix entre en moi, comme un grand frisson qui me parcourt le corps tout entier, et fait vibrer ma chair et mes os à l’unisson... jusqu’à me faire tout oublier...
Des accidentés de la route m’ont raconté ce moment terrible où tu sens que tu peux plus rien faire, t’sais, quand tu perds le contrôle de la situation et que l’élan t’emporte tout droit vers l’inéluctable.
Oh ! Là ! Là ! Quelle misère ! Y a rien de plus triste, déprimant et flippant qu’un hosto. J’en ai trop fréquenté durant ma courte vie. Vraiment trop. La preuve ? Devant la silhouette de cet édifice sinistre, je ne vois qu’une chose : maman que j’accompagnais à la sortie de l’ambulance.
« Cette petite fille blonde, vous la voyez comme vous me voyez, n’est-ce pas ? Ce n’est pas une hallucination. C’est une matérialisation de votre inconscient. L’enfant représente votre moi intérieur occulté. La part de votre être qui n’a pas su grandir et s’adapter au monde. L’enfant est la cause de vos souffrances, de ce sentiment de tristesse qui vous accable. Léa, ne te reconnais-tu pas en cette fillette ? »