Citations sur American Gothic (20)
L’agonie n’autorise pas qu’on se perde en digressions. Les gens allaient au plus simple, réduisant leur vie à l’essentiel. Ils comprimaient des décennies de joies ou de peines en un conte structuré, souvent une allégorie.
Pour comprendre vraiment quelqu’un, il faut se demander quel était son monstre, le croque-mitaine qui le tourmentait dans ses tendres années.
Lorsqu’on arrive à un âge avancé, ce qui est mon cas, les souvenirs sont ce qui tient lieu de futur. L’instant se vide du présent pour mieux accueillir le passé. Le fleuve coule à l’envers, en quelque sorte, mais au même rythme. Sur ses rives se tiennent des figures depuis longtemps disparues, aimées ou non. C’est là le plus étrange, ces rencontres nous sont tout autant imposées que celles qui restent à venir. Et parfois elles se répondent à travers le temps.
Comme je l’ai dit, y rentrer ne posait pas trop de problème. Plus difficile était d’en sortir, ce qui arrivait tout de même pour chacun de nous, tôt ou tard. Mais ne grillons pas les étapes.
Si Daryl voulait un jour évoquer l’Ailleurs, il lui faudrait d’abord ressentir l’Ici même, la manière dont le passé imprégnait le béton et l’acier, rendait les briques friables. À quel point les souvenirs défunts perduraient dans la mémoire des vivants, pareils aux résonances de drames d’hier qui trouveraient leur écho dans les histoires d’aujourd’hui. Disputes à la table du dîner familial, amour qui se brouille dans l’alcool en dépit de la sincère intention de bien faire, comme si les ancêtres soldaient les comptes à travers leurs descendants, en guise d’héritage.
On entend par là la communauté des travailleurs saisonniers qui ne tiennent pas en place et sont continuellement en quête de nouvelles expériences, mais aussi ceux qui ont été contraints à prendre la route. Nels Anderson, et à sa suite les sociologues de l’école de Chicago, établissent une distinction entre le hobo qui trouve un emploi là où l’occasion se présente, ne gagnant pas plus que le nécessaire avant de s’en aller découvrir de nouveaux espaces, et le vagabond qui n’a jamais plus d’un sou en poche.
En général, quand un gars se déboutonne la braguette, ce n’est pas pour aérer son service trois pièces. Veuillez pardonner ma franchise, monsieur Sawyer, mais à mon âge, on appelle un chat un chat, et le nécessaire masculin du nom qu’on souhaite lui donner.
De ce qu’a colporté la rumeur, et à partir de ce que j’ai tiré de Ma mère l’Oie, il semblerait que Daryl ait soigneusement échafaudé son plan. On dit que la lune du vendredi veille sur les fous. « Dormir sous le bouclier d’argent » s’avère propice aux entreprises insensées, et ce que l’on rêve le vendredi se réalise.
Un peu comme au théâtre, on doit planter le décor. L’importance du contexte, un mot que l’ami Leyland affectionnait. C’est de lui que j’ai retenu la leçon. Pour que l’histoire soit bonne, qu’elle ait un maximum d’effet, il faut la raconter comme si ce qui survient était, d’une certaine façon, prévu depuis toute l’éternité. Planté dans les champs en attendant que ça germe, ou maçonné dans les murs.
Ne soyez pas trop prompt à juger m’man. Les mères sentent des choses, et la mienne parvenait toujours à me deviner. Je crois qu’il y avait du bon sens dans sa lettre, ce qui, chez elle, se rapprochait le plus de l’amour.