Le colonel, qui tirait sa moustache, lui demanda :
— Vous n'avez plus rien à dire ?
— Non, pu rien ; l' compte est juste: j'en ai tué seize, pas un de pus, pas un de moins.
— Vous savez que vous allez mourir ?
— J' vous ai pas d'mandé de grâce.
— Avez-vous été soldat ?
— Oui. J'ai fait campagne, dans le temps. Et puis, c'est vous qu'avez tué mon père, qu'était soldat de l'Empereur premier. Sans compter que vous avez tué mon fils cadet, François, le mois dernier, auprès d'Évreux. Je vous en devais, j'ai payé. Je sommes quittes.
Les officiers se regardaient.
Le vieux reprit :
— Huit pour mon père, huit pour mon fieu, je sommes quittes. J'ai pas été vous chercher querelle, mé ! J' vous connais point ! J' sais pas seulement d'où qu' vous v'nez. Vous v'là chez mé, que vous y commandez comme si c'était chez vous. Je m' suis vengé su l's autres. J' m'en r'pens point.
LE PÈRE MILON.
Or l' état-major prussien s' était posté dans cette ferme .
Les fermes normandes semées par la plaine semblent, de loin, de petits bois ,
enfermées dans leur ceinture de hêtres élancés .
L' homme , un grand gars de quarante ans contemple , contre sa maison , une
vigne restée nue et courant , tordue comme un serpent, sous les volets, tout
au long du mur .
Depuis un mois , le large soleil jette aux champs sa flamme cuisante .La vie
radieuse éclot sous cette averse de feu ; la terre est verte à perte de vue .