J'avais perdu non seulement Magnus mais l'accès à l'autre monde. (...)
Les gens de cet autre monde continueraient sans moi leur voyage dans le temps et je poursuivrais, moi, Dieu sait quelle monotone existence au jour le jour. Le lien entre les siècles avait été rompu.
Cela me faisait une étrange impression de me retrouver dans le sous-sol, en sachant que la maison était vide de ses actuels occupants, mais que les gens de" mon autre monde m'y attendaient peut-être dans l'ombre.
J'entendais un merle chanter dans la haie quelque part derrière moi, et plus plaisant encore, l'appel d'un coucou dans la vallée, d'abord lointain, puis plus proche. J'écoutais avec plaisir ce cri qui me rappelait mes vagabondages à travers la campagne, trente ans auparavant.
" Si tu rencontres un être vivant issu du passé, garde-toi surtout de le toucher. Les objets, les choses inanimées, c'est sans importance; mais si tu essaies de toucher une chair vivante, le lien se rompra et tu éprouveras un choc extrêmement pénible. Je t'en parle en connaissance de cause car je l'ai fait"
" Sont-ils vivants comme moi, ou font-ils seulement semblant de l'être ?"
(...); ce qui me causait un soudain sentiment de panique, c'était la rencontre en soi, ce pont jeté par-dessus les siècles entre son époque et la mienne.
Je savais que, en mon temps, c'était le coeur de l'été, bien que le ciel fût couvert ce jour là; mais à présent, autour de moi, tout baignait dans cette clarté plus limpide qui marque l'approche de l'hiver; je sentais qu'on devait être au début de l'après-midi, car le soleil incendiait l'occident qui bientôt deviendrait d'un rouge sombre en se laissant gagner par la nuit.
" Tu ne sentiras pas ton corps entrer en contact avec les objets inanimés. Tu marcheras, tu t'assiéras, tu frôleras des meubles, des arbres ou des murs, sans rien sentir. Ne t'en inquiète pas. Le fait même de pouvoir te déplacer sans éprouver aucune sensation constitue une partie de l'émerveillement."
Je m'étais attendu (...) à une transformation d'un autre ordre, qui eût été une tranquille sensation de bien-être, le flou grisant du rêve où tout est brumeux, mal défini; mais certainement pas la découverte bouleversante d'une réalité beaucoup plus intense que tout ce que j'avais pu connaître jusqu'alors, aussi bien dans mes rêves qu'à l'état de veille.