Il n'y avait ni passé, ni présent ni futur. Tout ce qui vivait faisait partie d'un tout. Nous étions tous rattachés les uns aux autres, à travers le temps et l'éternité ; et lorsque nos sens seraient ouverts à une nouvelle perception de l'existence, comme les miens l'avaient été par la drogue de Magnus, la fusion s'opérerait, il n'y aurait plus de séparation, il n'y aurait plus de mort... Voilà à quoi aboutirait finalement l'expérience : grâce a cette possibilité de déplacement dans le temps, la mort serait abolie.
Plus que jamais encore, je mesurai en cet instant tout ce qu'avait de fantastique, et même de macabre, ma présence parmi eux. Invisible, pas encore né, monstrueux jouet du temps, j'étais témoin d'événements qui s'étaient passés plusieurs siècles auparavant et dont il n'avait été conservé aucune trace. Je me demandai pour quelle raison tandis que j'étais là dans l'escalier, invisible mais présent, je me sentais tellement concerné et troublé par ces amours et ces morts.
Personne n'est jamais comme les autres.
Je me sentis brusquement trempé de sueur. Je demeurai assis au volant, les mains tremblantes. Il ne fallait pas que cela recommence. Je devais absolument me ressaisir. Il n’était que six heures du matin. Vita et les garçons dormaient encore, tous comme nos satanés invités, et Roger, Isolda, Bodrugan étaient morts depuis plus de six cents ans. Je vivais au XXe siècle.
Cela résumait bien mon sort : subir une contrainte tout en étant libre, être seul bien qu'en leur compagnie, être né en mon siècle mais vivre inaperçu dans le leur.
Quand je mens, j'aime que mon mensonge repose sur quelque chose de vrai, car cela apaise ma conscience.
Isolda, la femme de Sir Oliver Carminowe, n'avait pas de guimpe encadrant son visage, mais elle portait sa blonde chevelure tressée en deux macarons, et une bande d'étoffe ornée de pierres précieuses maintenait un voile court sur sa tête. À la différence des autres femmes, elle n'avait pas non plus de manteau par-dessus sa robe, qui était plus ajustée et dont la jupe était moins ample que celles de ses compagnes, avec de longues manches collantes descendant jusqu'au-dessous du poignet. Comme elle devait avoir vingt-cinq ou vingt-six ans et être plus jeune que les autres dames présentes, peut-être suivait-elle la mode de plus près, mais elle le faisait sans ostentation, avec une grâce pleine de naturel.
[...]
Il est dans le destin de tout homme, je suppose, d'apercevoir un jour ou l'autre, parmi la foule, un visage qu'il ne peut plus oublier et qu'il aura peut-être la chance de retrouver dans un restaurant ou une réception. S'il le revoit trop souvent, l'enchantement sera brisé et engendrera la déception. Mais cela ne risquait pas de se produire en l'occurrence, car c'était par-delà les siècles que je contemplais ce que Shakespeare appelait « une beauté non pareille », laquelle, hélas, ne me verrait jamais.
Savez-vous quelque-chose concernant les anciens seigneurs de l'endroit ?
Il s'immobilisa un instant pour éteindre les lumières.
– Uniquement ce que m'ont appris les Annales de la paroisse. Dans le Domesday le manoir est mentionné sous le nom de Tiwardrai – la Maison sur le Rivage – et il appartenait à la grande famille des Cardinham jusqu'à ce que, au XIIIe siècle, Isolda, qui venait d'en hériter, le vendît aux Champernoune, puis, lorsque ceux-ci s'éteignirent, il passa en d'autres mains.
La vérité est souvent ce dont on a le plus de peine à se convaincre ou convaincre les autres. J'aimais Vita pour tous les moments vécus en commun depuis des mois et des années, pour tous ces hauts et ces bas qui rendent la vie conjugale parfois exaspérante et monotone, mais en font quelque chose d'unique et d'incomparablement précieux. J'avais appris à m'accommoder de ses défauts et elle des miens. Nous nous disputions souvent sans penser un mot des mauvaises paroles que nous nous jetions à la figure et, habitués l'un à l'autre, nous ne nous disions que rarement toutes les choses gentilles que nous pensions l'un de l'autre.
- Trois ans de mariage, remarqua-t-il, et le lave-vaisselle a plus d'importance dans votre vie conjugale que le grand lit mis par moi à votre disposition ! Je te l'avais dit, qu'il ne durerait pas. Je parle du mariage, bien sûr, pas du lit.