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Critique de florigny


Publié en 1932, le cercle de famille est un roman qui pourrait légitimement avoir vieilli et sentir la naphtaline, être caractérisé par le style hypertrophié propre aux productions du début du XXème siècle, ou propager des idées moralistes ou misogynes. Or, il n'en est rien, et c'est bien ce qui m'a frappée lors de cette lecture : le cercle de famille est un roman intemporel et donc moderne, tant dans son style que dans son intrigue.


L'écriture d'André Maurois m'a époustouflée ; elle correspond quasi-parfaitement à l'idée que je me fais de la perfection : des phrases dégraissées au plus près de l'émotion ; un vocabulaire à la fois riche mais sans boursouflure ; des phrases composées de l'exact nombre de mots, ni plus ni moins ; un usage modéré des adjectifs ou adverbes ; la métaphore légère et appropriée... Bref, un enchantement que l'auteur ne pollue pas de son ego surdimensionné ou de mièvreries nombrilistes n'intéressant personne. Si j'ajoute la syntaxe irréprochable et sans lourdeur, une concordance des temps qui transforme l'imparfait du subjonctif en une gourmandise, et une histoire à la portée universelle, le tableau est complet.


L'auteur – né dans une famille de drapiers - a choisi de mettre en scène une famille bourgeoise et provinciale dont la fortune s'est édifiée sur le commerce du coton, puis qui a sauté plus tard avec plus ou moins de succès dans le train lancé à toute vitesse de la colonisation après avoir fourni du drap garance ou bleu horizon aux soldats français ainsi déguisés en cibles. le récit s'étend de la fin du XIXème siècle au mitan des années trente et le personnage principal est Denise, l'aînée des 3 filles Herpain, qui a découvert tôt dans l'enfance que sous la surface hypocrite et lisse de la vie familiale, couvent mensonges, trahisons, adultères. Denise constate que personne ne dit la vérité, et que les êtres qu'on lui a appris à considérer comme sacrés agissent mal : sa mère est frivole, trompe son mari faible, silencieux et fatigué avec le médecin de Pont de l'Eure, alimentant les cancanages des grenouilles de bénitier bien pensantes promptes à juger une femme et ricaner du cocu qui nie les problèmes pour éviter de les résoudre.


Denise se rebelle et se jure de ne jamais reproduire un tel modèle. Dotée d'un fort caractère teinté d'exaltation religieuse et voulant échapper à l'asservissement des femmes dans une vie conjugale, maternelle et domestique, elle fait des études, partage un temps des idées progressistes en vogue dans le milieu étudiant, pour finalement épouser sans amour un homme falot dont la seule qualité est d'être un riche héritier, qu'elle finit par tromper. Mais rongée par la culpabilité, elle s'abandonne à « une dépression mystique » dans une luxueuse villa de la Côte d'Azur.


Et voilà ! Denise qui s'était promis de transformer le cercle de famille en cercle vertueux, se contente au final de perpétuer le cercle vicieux. Faut-il comprendre que l'on ne peut échapper au déterminisme social capitaliste  ? Je suis tentée de répondre et ce n'est que mon avis, qu'il est risqué pour Denise de fuir son milieu d'origine riche, aisé, privilégié, dominant... D'ailleurs, au moment du choix crucial, elle opte pour la sécurité plutôt que d'aller goûter de la vache enragée avec un amoureux pauvre. Sacrée Denise qui aurait voulu faire croire aux lecteurs qu'elle allait tout faire péter et révolutionner son petit monde douillet alors que l'aisance matérielle est si confortable, quel qu'en soit le prix à payer, et que la religion, si souple grâce à la confession, permet d'absoudre les péchés de chair et tous les autres.


André Maurois dresse un portrait vitriolé de la bourgeoisie d'un réalisme stupéfiant. le roman est émaillé de brèves considérations saisissantes qui plantent avec justesse le décor historique et politique  : 1ère guerre mondiale, crise de 29, colonisation en plein essor... Au final, une lecture savoureuse.


"A quoi nous servira d'avoir maintenu en France un îlot relativement tranquille si nous sommes éclaboussés, submergés par un désastre universel ? Si le reste croule, croyez-vous que nous tiendrons ?"
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