Mais qu'est-ce que ces Nord-Américains, ces Occidentaux peuvent comprendre à la mort? Il faut être oriental pour approcher cela...
Il adorait penser le monde et pouvait tenir de longs discours à ses frères ou à ses copains illettrés sur l’avenir géopolitique de la planète. Néanmoins, toutes ses pensées aboutissaient à une conclusion éclairée et pessimiste sur le sort de l’humanité : les riches continueraient à s’enrichir et les pauvres à s’appauvrir. Il n’y avait rien à faire devant l’inévitable.
(Héliotrope, p. 102)
À ceux qui , sur le paquebot, voulaient se lier d'amitié ou commencer une conversation en lui demandant d'où il venait, il répondait sans ambages qu'il était chinois. Cette déclaration faisait bien sûr rire ses interlocuteurs ou encore les laissait babas. Ce jeune homme à la peau basanée, aux yeux bistres, à l'accent pied-noir, aux gestes cabotins et au bagout infernal n'avait rien de l'image que l'on se faisait des fils de Mao. Mais Vassilli tenait à montrer l'absurdité des appartenances, des guerres, des identités. Il n'avait pas à se définir par rapport à quoi que ce soit.
Mon père, une main sur le volant, l’autre sur le chambranle de la vitre baissée, nous disait à nous, ses filles : « C’est l’océan. Vous voyez, c’est comme je vous l’avais dit ... », et je souriais d’aise alors que mes sœurs pépiaient comme des mouettes dans le fond de la voiture.
C'est à Mallory Square que finit mon voyage, celui que j'ai fait depuis ma naissance avec toi à mes côtés, celui que nous avons accompli toi et moi à travers les temps terrestres. Nous nous reverrons peut-être dans mes rêves. Nous nous croiserons peut-être même ici, au bout des Etats-Unis, si je reviens moi aussi, enfermée dans un pot de sucre, me faire délivrer du tic-tac des heures et de la pesanteur des vivants. Nous nous frôlerons peut-être si je fais disséminer mes restes poussiéreux aux quatre coins de l'éternité. Nous reconnaîtrons-nous ?
Mon père avait toujours été un revenant. Jamais là, mais toujours susceptible de réapparaître.
Aujourd'hui, quarante-cinq années plus tard, je n'ai pas à me presser. Ma vie n'a plus ou pas encore de sens. Pourtant, je cours après le passé qui ne cesse de se multiplier devant moi, de s'effilocher en souvenirs vrais ou inventés, en possibilités menées à terme ou encore avortées.
Sa fuite effrangée me fait mal, je crois.