Tu déposais en moi les graines d'angoisse. Terreau fertile, je me faisais hospitalière pour faire surgir les fleurs de l'anxiété. Et toi, après tes récits, tu te sentais toujours beaucoup mieux.
Légère et aérienne.
Ma mère a toujours adoré les fleurs et les fils, les fleurs des fils. Les jolies filles en fleur ne comptaient pas pour elle.
Maman avait été une petite fille, une sœur une amoureuse, une femme, une épouse, une mère, puis une vieille dame et enfin une très très vieille dame, mais elle ne se souvenait plus de toutes ces périodes de sa vie. Seul comptait ce présent infini dans lequel il a fallu qu’elle se vautre. Elle n’avait pas le choix.
(Héliotrope, p.157)
Tu as donc été terriblement étonnée quand Papa t’a trompé avec des filles qui « ne t’arrivaient pas à la cheville », qui étaient à tes yeux des moches. Tu n’as jamais rien compris à l’amour, Maman. Les aspérités et les imperfections attisent le désir qui s’attache à la vie dans ce qu’elle a de vulnérable ou d’émouvant. Tu ne pouvais pas imaginer qu’on puisse préférer une quenouille à une orchidée.
(Héliotrope, p.151)
Je m'aperçois doucement que je suis aussi capable de donner naissance au monde. Ça pousse, ça pousse. Les fleurs travaillent toutes seules à exister.
Je me régalais, éberluée que la vie soit simplement à portée de main.
Dans le jardin.
J'inventais toutes les quatre ou cinq minutes une nouvelle heure tout à fait farfelue, te faisant ainsi rêver d'un avenir immédiat différent à chaque fois.
Tandis que Maman agonisait (Faulkner aimait-il les fleurs ? me demandé-je alors qu’il passe ici à travers mes mots), j’étais triste d’avoir été sa mauvaise herbe, son jardin mal sarclé, en friche.
Pour l’enterrement, les fleurs étaient « d’un rose vraiment céleste », comme le dirait Proust. « Je veux dire couleur de ciel rose. Car il y a un rose ciel comme il y a un bleu ciel. »
Que le monde refleurisse ! Que la peine s'estompe ! Que les morts trouvent leur place dans la terre chaude des étés à venir qui se nourriront d'eux ! Que des temps meilleurs arrivent ! Et pour cela il faut peut-être sonner le glas d'un temps, le sien.
En moi, je veux laisser monter la sève d'un printemps. En moi, je porterai des mondes inconnus, étonnants.
Ma peine me mènera vers ma joie.