Les bâtisseurs attrapent aussi la main d'Antoine mais, par réflexe, celui-ci la retire poliment. On ne touche pas. On n'effleure pas. Ça l'a toujours rendu nerveux, le contact. Les bâtisseurs ne le forcent pas. Ils cherchent simplement à lui enseigner l'art de frôler sans faire mal, toucher sans abandonner. Ils veulent lui montrer. La douceur, ça n'est que cela.
Il espère tant que ce soit elle. Il prie Dieu peut-être, ou les nuages, ou sa mère, n'importe quoi qui fasse l'affaire.
Parfois, Antoine entendait les vélos des enfants filer dans le vent, et il se nourrissait de leurs rires comme d'un bonbon.
L’armée, c’est l’endroit où on confie des armes à tous les fous qui n’ont pas encore été enfermés.
"La vague, ils l'entendent encore ronronner. Elle vibre sous leurs pieds et tapisse leurs poumons, ils la respirent. Elle les a pénétrés tel un amant indocile et enveloppés comme une mère aimante. Elle est eux, et ils ne risquent plus rien. Elle ne leur fera plus de mal."
"Je ne me fous de rien, je n'aime pas que la vie m'emmerde, c'est tout."
On reconnaît les monstres à cette gueule qu'ils exhibent, pleine de dents et prête à dévorer les enfants. Mais certains la portent juste parce qu'ils n'ont pas le choix, comme un boulet, un masque affreux. Et, monstres ou non, ils terrifient malgré eux tout ce qui se trouve sur leur passage.
Et puis il les tuera tous les deux. Il ne se posera pas la moindre question. Il laissera peut-être le vieil homme épauler son deux-coups, lui concédera l'espoir furtif de s'en sortir, puis il retournera l'arme contre le couple, apprivoisera la sueur sur la gâchette glissante. Il les regardera supplier, écoutera leurs plaintes et leurs cris, sentira leur peur couler sur lui. Il ne sourira pas et fera feu. Il tirera à travers les peaux durcies. Une fois dans chaque corps. Le front, le cœur, le ventre, il ne sait pas encore. Deux cadavres, c'est tout ce qui restera. Il les emportera loin d'ici, au fond de ce terrain en friche, ce champ recouvert chaque jour de l'année par des tonnes de feuilles sèches, tremblantes sous la brise légère ou collant à vos semelles. Au fond de ce terrain, il y a un trou, un trou dans lequel il pourra entreposer les deux cadavres. Il cachera leurs chairs et leur puanteur à l'abri des regards. Il attendra patiemment que les corps pourrissent et, quand il ne restera plus que des os cassants, il y mettra le feu. Un beau et grand brasier pétaradant au milieu des branches. Antoine contemplera les flammes jusqu'à ce que ses yeux ne soient plus que deux fentes noires, humides et douloureuses. Il respirera l'odeur des chairs cuites jusqu'à ce qu'elle fasse un peu partie de lui. Alors il se sentira mieux. Accompli, entier.
Chaque jour que le grand Créateur a décidé d’embraser, il caresse cette terre, avec le môme en dessous. Il sait que ça prendra du temps. Il marchera encore, jusqu’à ce que ses jambes cèdent. Quand enfin elles ne le porteront plus, il se laissera mourir…Ils riront ensemble d’être morts. Ils riront jusqu’à s’étouffer sans plus rien craindre du tout. Ils riront d’amour
On reconnait les monstres à cette gueule qu'ils exhibent, pleine de dents et prête à dévorer les enfants. Mais certains la portent juste parce qu'ils n'ont pas le choix, comme un boulet, un masque affreux. Et, monstres ou non, ils terrifient malgré eux tout ce qui se trouve sur leur passage.