On la voyait seulement rêver de longs moments, comme si la vie en elle était suspendue…
Et les vers, ou les phrases, les mots magiques, s’épandaient, recréaient des êtres et des paysages, évoquaient des douceurs tremblantes et des visions brutales et heurtées, plongeaient Karelina dans une espèce de rêve irréel, de monde chimérique et hallucinant. Revenir sur terre, ensuite, lui était presque douloureux…
On dirait que l’air n’est pas le même, qu’on vit plus vite… Tout va vite. C’est comme dans les ports, on dirait qu’on vit avec la marée… Et des gens, tant de gens ! De partout ! Des marins d’Amérique et du Japon, d’Espagne, d’Italie, du Brésil, du Chili… Des nègres, des Chinois, des Américains, toutes les langues, tous les parlers… On dirait que ça touche à tous les coins du monde, Anvers…
À vingt ans, on dirait que le monde est à vos pieds. À trente, on est bien content de ramasser un varlet ! J’en ai vu, j’en ai vu beaucoup… On ne vit pas dans les rêves.
C’est parce que la jeunesse demande trop qu’elle perd tout.
Il faut bien qu’il y ait quelques heureux sur terre.
Tu m’as rendue heureuse, ces huit ans, assez pour toute une vie… Quoi qu’il arrive, maintenant, je n’aurai plus à me plaindre du sort. J’ai eu ma part.
On n’est pas riches, on a toujours peur d’être oubliés…
Le Jour des Morts n’est pas pour le peuple un vain mot en Flandre. On passe la journée, maison close, à dire des prières à genoux, dans une chambre obscure.