C'est dès le premier échange de regards que j'ai compris que ce ne serait pas une patiente ordinaire.
La chaîne stéréo dissimulée dans le placard mural diffusait doucement les Suites pour violoncelle, et elle m'a regardé sans sembler me voir, comme si Bach à ce moment-là était plus présent dans la pièce que moi.
Sa tenue, son attitude, cadraient pourtant à la perfection avec mon salon d'attente plutôt distingué de la place Saint-Sulpice ; elle avait cette classe naturelle des femmes qui sont élégantes sans sembler se soucier de l'être, et qui s'inscrivait idéalement dans ce décor que j'avais voulu à la fois rassurant et original.
Quand son tour est arrivé, je n'ai pas eu besoin de prononcer son nom; abandonnant Bach, elle m'a souri en se levant dès que j'ai eu ouvert la porte.
Je me suis effacé pour la laisser traverser le hall et pénétrer dans mon bureau, en face.
Je l'ai priée de s'asseoir et j'ai fait mine de chercher dans mon classeur un dossier à son nom.
- Ne cherchez pas, docteur ; nous ne nous connaissons pas encore. C'est la première fois que je viens vous voir.
Je le savais, mais sans m'expliquer pourquoi, j'éprouvais le besoin de ce genre de geste. Je me rassurais.
Comme disent ceux qui ont perdu un proche, la vie ne s'arrête pas, elle continue autrement ...
La souffrance, ça fonctionne par étapes. Ce n'est pas un sentiment. Souffrir, c'est prendre conscience, petit à petit, des différentes composantes de la douleur.
Le plus dur après le précipice de l'instant fatidique, c'est de s'installer dans l'après. Intégrer l'idée que désormais on ne pourra plus jamais parler au présent ; qu'il y a eu un avant, irrémédiablement clos. Que maintenant, c'est l'après. (p.89)
Je me suis rendu compte à ce moment que cette femme que je connaissais à peine avait sur moi un ascendant qu'aucune de mes patientes n'avait jamais eu, jusqu'à s'imposer par un mot, une attitude, un regard. L'exact inverse de la relation habituelle entre le soignant et le soigné. Surtout ne pas la contrarier. (p.41)
Me sentir coupable, même si je savais que c'était injuste, c'était ça que je redoutais le plus.
Le plus dur, après le précipice de l'instant fatidique, c'est de s'installer dans l'après. Intégré l'idée que désormais on ne pourra plus jamais parler au présent ; qu'il y a eu un avant, irrémédiablement clos. Que maintenant c'est l'après.
elle avait cette classe naturelle des femmes qui sont élégantes sans sembler se soucier de l'être
Mon plus grand chagrin, c'était la perte de cette complicité intellectuelle qui illuminait ma vie, avant...(p.110)
Puis vint le temps béni où l'on ne se pose plus de questions, où l'on se laisse prendre par l'existence qui déferle, où l'on marche à dix centimètres au-dessus du sol en laissant un air nouveau nous griser comme un alcool.