pouvait-on refaire le monde par de simples paroles? Et fallait-il un feu vert, mais de qui, pour parler en son nom propre?
Rien, lui répondis-je, je n’avais rien à dire sur les peintres, par contre j’improviserais volontiers sur les bonnes, oui, les bonnes.
Après tout, elles avaient fidèlement servi les peintres, ces paisibles bourgeois venus voir les sauvages (et parmi ces sauvages, bien sûr, ma grand-mère et son chapelet, mon grand-père et ses chèvres) et qui n’auraient pu travailler en paix dans ses paysages époustouflants sans le soutien de jeunes filles quasi illettrées qui pour une modique somme, pour un monsieur parfois aimable mais toujours exigeant, faisaient le ménage, la cuisine, la couture, j’en passe et des meilleures, allaient commissionner au village et réceptionner les toiles vierges à la gare.
Les bonnes en avaient à dire sur le revers du monde ! Avec elles s’ouvraient les portes du caché… Elles m’intriguaient plus que les peintres, comme tous les êtres que le Code civil, en ce temps-là, déclarait « atteints d’imbécillité, de démence, de fureur ou de prodigalité ».
En réalité, quand nous ouvrions la bouche, est-ce bien nous qui parlions ou fallait-il nous avouer les ventriloques de mots usagés frayant dans notre gorge?