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EAN : 9782889276806
160 pages
Editions Zoé (05/09/2019)
3.94/5   8 notes
Résumé :
Chronique grinçante de l’emballement moderne vu d’une vallée alpine.Absolument modernes! est une chronique sur la modernité vue du Valais dans les années soixante-dix et quatre-vingt, une époque où l’on ne jurait que par la croissance. Comme à son habitude, Jérôme Meizoz mêle le récit intime aux souvenirs plus objectifs que charrient alors documents, slogans et tracts d’époque. La construction de l’autoroute dans la vallée du Rhône vécue comme un drame pour sa mère,... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
« Absolument modernes ! » est un essai (2019, Editions Zoé, 160 p.) de l'écrivain suisse Jérôme Meizoz.
Né en 1967 à Martigny dans le Valais Suisse. Il est originaire de Riddes et grandit à Vernayaz, les deux villes sont dans le Valais. Des études de lettres à l'Université de Lausanne, avec un mémoire de master sur Jean-Marc Lovay. Après son mémoire, Jérôme Meizoz enseigne un certain temps à Zurich, puis à l'Université de Genève, où en tant que chargé de cours suppléant, où il anime en 2000 un séminaire consacré à Maurice Chappaz. Sa thèse « L'âge du roman parlant 1919-1939 » fait référence sur cet aspect de la littérature suisse. Pierre Bourdieu en signe la préface. (2001, Genève, Droz, 510 p.). Il est directeur de la Formation doctorale interdisciplinaire et enseigne aussi la littérature française à la Faculté des Lettres de l'Université de Lausanne. En tant qu'écrivain, il a d'abord publié des écrits critiques « L'âge d'or du roman parlant 1919-1939 », et surtout de nombreux essais sur la littérature romande. Il tient des chroniques littéraires dans plusieurs revues suisses et françaises. C'est un spécialiste reconnu de Charles Ferdinand Ramuz. Il a participé à « L'histoire de la littérature en Suisse Romande » avec Roger Francillon (2015, Editions Zoe, 1750 p.) et collabore à l'édition critique des romans de Ramuz dans la collection de la Pléiade en deux volumes réunis en un coffret (2005, La Pléiade, 3896 p.).
« Absolument modernes ! » fait indéniablement référence à Rimbaud, qui dans la phase finale de « Une Saison en Enfer », déclarait « Il faut être absolument moderne ». Ironiquement, Jérôme Meizoz met le tout au pluriel et il ajoute un point d'exclamation aux mots de Rimbaud. On peut donc s'attendre à une certaine critique de la modernité. Tout au moins, à celle prônée pendant les années des « Trente Glorieuses », de 1950 à 1980, où la modernité allait de pair avec une croissance effrénée. Paradis promis ou Enfer probable, il y a peu entre les deux possibilités de futur. Cependant, Rimbaud poursuit « Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n'ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !... le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul ».
Par opposition, Meizoz porte un regard différent sur la mue des institutions, des paysages et des mentalités pendant ces années, du moins dans la Valais, mais ce regard est valable autre part. La consommation devient la reine et la modernité va avec son futur plein de promesses. On salue la venue et vénère la télévision, machine à décerveler. On applaudit aux constructions d'autoroutes et de voitures surpuissantes, surtout en consommation d'énergie. La consommation est reine dans les malls, galeries marchandes et hypermarchés. Il y a tout partout, même, et surtout, ce qui n'est pas nécessaire. Bref tout est moderne, tourné vers l'«avenir radieux». L'ancien s'est pris un coup de vieux.
De nos jours, c'est la modernité qui a pris un coup de vieux. Revers de la croissance pour la croissance. Jusqu'où tout d'abord. Mais, que faire ? Revenir à la chandelle et aux anciennes superstitions, à « la pensée sorcière » ? Refuser tous les avantages de la modernité pour s'isoler dans la nature et retrouver la « litanie des sommets et des vallées ». Ce qui n'est, certes, valable que pour la Suisse. Encore que, une économie helvète, avec des salaires qui font passer le reste des Européens pour des pauvres, ne justifie pas tout.
Bref, « Absolument modernes ! » composé de 13 chroniques suivies de 13 portraits d'anges, est censé apporter un regard neuf sur cette « modernité ». Treize fragments, comme une vue éclatée, ou explosée, de la situation actuelle, qu‘un dénommé Jérôme Fracasse expose sur la foi en la technique, la croyance en la croissance illimitée, et le culte du marché. Avec les réalisations du règne de la télévision et de la voiture, de la construction de l'autoroute du Rhône, de l'ouverture des supermarchés, et du développement du tourisme de masse dans les Alpes. Bref, que du bonheur, avec la fin d'un régime de relative pénurie, contrebalancé par le tourbillon de la société de consommation. L'entrée dans « le régime des promesses » qui, comme le disait certain, n'engageait que ceux qui y croient.
Il est vrai que tout cela se passe dans la Valais suisse, et reflète la vie dans une vallée alpine, entre 1950 et 1980, après un très lent démarrage les dix premières années. Vu par ce Jérôme Fracasse, alias probable d'un autre Jérôme.
La télévision et la voiture. « le Grand Prix consiste à faire tourner en rond des véhicules de marques différentes pendant plusieurs heures. On ne sait pas bien qui a pu inventer ça. Durant ce sacrifice sont brûlés des milliers de litres d'essence ». Ou encore « le vainqueur, escorté de deux filles peu vêtues, asperge la foule de mousse. Les supporters hurlent de joie devant le héros. Exaltation de la puissance. La voix royale du progrès s'est ouverte et le speaker qualifie la Formule 1 de laboratoire de l'automobile du futur. C'est au cours des deux dernières guerres, rappelle-t-il, que le génie humain a conçu les camions, tanks et jeeps ». La construction de l'autoroute du Rhône « L'autoroute fonce, selon la trajectoire la plus droite, sans occuper trop d'espace. Là où le Rhône prenait son temps en méandres inutiles, en marécages silencieux, ensablés, on a rectifié le tir, enfermé l'eau dans un couloir ». L'ouverture des supermarchés et du consumérisme. « Bernard Tapie rachète des sociétés en faillite. le club-école d'un supermarché orange forme, sur ce modèle, les futurs ‘‘battants'' ». La technique avant tout. « Père proclamait que la médecine allait guérir sa femme du cancer. La preuve, toutes ces boîtes de médicaments sur la table de nuit. Par précaution, on lui donnait quand même l'eau de Lourdes et la crème budwig de la doctoresse Kousmine. » et « Depuis que le grand frère portait la blouse blanche, stéthoscope autour du cou, jamais on n'avait autant parlé de maladies à table. C'était désormais pour les débusquer, les prévenir et les vaincre. La ligne droite vers l'avenir. J'entendais sans cesse les noms de pathologies rares que d'autres, bienheureux, ignorent. Je feuilletais des manuels d'anatomie ou de dermatologie où s'étalaient les pires affections. Leurs noms me couraient dans la tête ». Bref, le bonheur, et les saucissons qui poussent aux arbres. « Nous nous élèverons dans la société. On nous versera des salaires étonnants. Les fatigues épargneront nos corps. Nous serons impeccablement vêtus et nos doigts, en silence, caresseront des touches électroniques. Pour ce rêve promis à cinq enfants, père rentre épuisé de l'atelier ». On ne parle pas du petit Jésus soviétique, on est en Valais Suisse, l'argent sale des russes s'étale plutôt vers Zurich et Genève. Enfin, le développement du tourisme de masse dans les Alpes. « le frère du patron possède l'un des plus beaux palaces des Alpes. Une nuit y est offerte aux rescapés de la famille. Un peu de répit, à défaut de partager vraiment les richesses. le jour dit, père, ma soeur et moi entrons dans la suite qui nous est réservée. Partout, des draps de soie, des linges brodés, une décoration luxueuse avec coffre-fort près du lit... Nous regardons la chambre avec le respect accordé aux musées. Depuis le balcon, le paysage empile les cimes avec une sorte de rage mauvaise, jaillit parfois de ma bouche quand je n'y prends pas garde ». Avec le corollaire de la destruction de la faune et flore. « Durant des siècles, les gens y avaient domestiqué les bêtes. Ils dormaient au-dessus de l'écurie. Plusieurs alpages situés à diverses altitudes leur permettaient de survivre. Les autres animaux, cerfs, chamois, chevreuils, lièvres, ils les chassaient pour la viande. Hors des animaux utiles, il n'y avait que des "bestioles", disait-on, et ce mot entendu depuis l'enfance » et la malbouffe « Après la disparition de maman, on s'est mis à manger des surgelés.»
Heureusement que « Dehors, les mésanges zinzinulent encore. le monde ignore ses plaies »
On pense, en lisant ce texte à « le Match Valais-Judée » de Maurice Chappaz, autre auteur du Valais Suisse (1994, Payot, 196 p.), avec, en plus, la dimension divine. Une énorme satire pour fêter le bi-millénaire de la religion catholique. Dieu le Père propose un match entre la Judée, capitale Sion-la-divine, et le Valais, chef-lieu Sion-la-bovine. Les deux camps s'organisent. D'un côté, les Valaisans avec leurs anciens chefs de guerre, Supersaxo, le cardinal Mathieu Schiner qui conduisit les Suisses à Marignan, Bernard et Théodule, les saints du cru, les âmes que l'on ressuscite dans les glaciers et les cimetières. A l'opposé, de l'autre côté, les héros de la Judée, prophètes, apôtres, rois et mages. On ne mange plus, on consomme. Dieu, qui inspecte le champ de bataille, est obligé, pour se nourrir, de ressusciter pêchers en fleurs du Valais, et les saisons des anciennes jouissances. Il décrète la chasse au Diable et à ses complices. Dans la scène finale, saint Bernard et le Diable enchaîné remontent ensemble vers l'hospice où on leur verse le même vin doré. La fête est finie. le ciel a visité la terre.
Un autre texte qui reprend les mêmes thèses est celui de Bertrand Leclair « Débuter, comment c'est. Entrer en littérature » (2019, Pocket, 180 p.). Mais bon, c'est un nordiste, un ch'ti, monté à Paris. Ses seules montagnes ce sont les terrils. Il peut donc manquer de hauteur de vue. Quoique les 13 portraits d'anges censés apporter un regard neuf sur cette « modernité » font également appels aux portraits es personnages appelés « Les Anges », que sont « le cultivateur », « L'Abbé », « L'ami d'enfance », « La Femme du peuple et son fils », « Une maitresse d'école » ou « La pianiste ». Un inventaire à la Prévert que ces portraits ou vies brèves en quelques pages. Tout en gardant les pieds sur le plancher des vaches et en y rajoutant Karl Kraus, Max Weber et Maurice Chappaz.
Il serait intéressant de faire un inventaire des livres suisses dans lesquels il n'est pas question de bovins. Mais le meilleur que j'ai lu est bien « La Vache » de Beat Sterchi (2019, Editions Zoé, 480 p.) traduit de l'allemand par Gilbert Musy, avec une préface de C. Claro (7 pages) et une postface de Wilfred Schiltknecht (3 pages). Une véritable ode à la race bovine de Simmental, une race originaire de l'Oberland bernois. La race est d'origine Suisse et plus précisément de la vallée de la Simme. En France, on l'appelait aussi Pie Rouge de l'Est. C'est d'ailleurs un texte traduit de « Blösch », le titre original, qui est, dans le patois paysan bernois, un veau né avec un pelage rouge paille et dépourvu de tachetures.
Donc, pour décrire le capitalisme helvète, Jérôme Meizoz utilise et compare à ce qu'il connait. « La banque s'inspire de la machine à traire », avant de conclure : « Et le capitalisme garde ici cette odeur d'écurie… ». Mais manque de chance, le bon lait cru a tourné, tout comme le rêve vire au cauchemar. « le rêve dit qu'une certaine Fée Minimum, adepte de la modération et de la vie lente, a pris la tête d'un mouvement de résistance. A son service oeuvrent deux soeurs folaches, Vertige et Frisson ».
Mais, il faut se rendre à l'évidence. Les abricotiers de la mère sont rasés. le paysage de l'enfance est devenu une « vallée alpine irriguée au goudron ». Ne reste que l'entrepreneur-empereur. « L'entrepreneur-empereur chanta sur scène en costume impérial, entouré de filles légères, frappa la joue de son meilleur ennemi et dicta un édit olympique ».

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Absolument modernes ! est une série de chroniques sur l'optimisme valaisan et suisse des années 70-80 face à la modernisation et au progrès technologique : pendant la période des Trente Glorieuses, la croissance importait plus que l'écologie. Ces histoires sont racontées par Jérôme Fracasse, qui vit dans le présent.
Cette lecture mérite d'être partagée : les thématiques abordées sont très actuelles et soulèvent des réflexions qui trouvent tout leur sens. L'écriture est simple mais superbe. L'auteur mêle au récit une partie émouvante de son vécu. Par ailleurs, même s'il ne faut pas juger un livre à sa
couverture, celle-ci est vraiment magnifique.
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Chronique pleine de subtilité et de gravité à la fois. Sur les espoirs de générations qui ont cru aux bienfaits du progrès et de la croissance à tout prix.
Au-delà de la dénonciation d'un système qui exploite la nature et les hommes au nom de la loi du marché, on appréciera les portraits délicieux. Tantôt intimes (la famille), tantôt des figures publiques que l'on croit reconnaître (l'entrepreneur, le politicien, le curé rouge, le patron paternaliste, les ouvriers italiens...).
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critiques presse (1)
Liberation
05 septembre 2019
Ce sont de superbes portraits, «la Femme du peuple et son fils» ou «l’Abbé». Des documents, des citations (Hugo, Karl Kraus, Max Weber, Maurice Chappaz, Andy Warhol…) complètent cette vue d’ensemble.
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Il [le patron] veut faire plaisir à son dévoué mécanicien qui vient de perdre son fils puis sa femme. Il se trouve que le frère du patron possède l'un des plus beaux palaces des Alpes. Une nuit y est offerte aux rescapés de la famille. Un peu de répit, à défaut de partager vraiment les richesses.
Le jour dit, père, ma sœur et moi entrons dans la suite qui nous est réservée. Partout, des draps de soie, des linges brodés, une décoration luxueuse avec coffre-fort près du lit... Nous regardons la chambre avec le respect accordé aux musées. Depuis le balcon, le paysage empile les cimes. Alpages et forêts se disputent le nom de paysage. Apercevoir quelques vaches nous rassure énormément. Nous restons debout dans la chambre sans oser toucher quoi que ce soit. Vient une sorte de honte poisseuse à chaque mouvement, puis la mauvaise nuit dans des draps impeccables. Toute notre vie renvoyée en pleine figure.
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Durant des siècles, les gens y avaient domestiqué les bêtes. Ils dormaient au-dessus de l'écurie. Plusieurs alpages situés à diverses altitudes leur permettaient de survivre. Les autres animaux, cerfs, chamois, chevreuils, lièvres, ils les chassaient pour la viande. Hors des animaux utiles, il n'y avait que des "bestioles", disait-n, et ce mot entendu depuis l'enfance, prononcé avec une sorte de rage mauvaise, jaillit parfois de ma bouche quand je n'y prends pas garde. De quel passé de violence nous sommes faits !
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Toute sa vie, père a voulu croire au progrès. L'avenir radieux ne serait qu'une affaire de technique. Il fallait juste avoir confiance, s'en remettre à ceux qui savaient. En nous, rien n'avait jamais été moderne. Face aux malheurs, nous restions bouche bée.
Maintenant, me voilà enfin prêt à raconter ces années de promesses, quand on chantait partout l'avancée triomphale et la croissance infinie. Parce qu'aujourd'hui, apparemment, il faut en rabattre.
Quelque chose s'est brisé, mais quand ?
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L'autoroute fonce, selon la trajectoire la plus droite, sans occuper trop d'espace. Là où le Rhône prenait son temps en méandres inutiles, en marécages silencieux, ensablés, on a rectifié le tir, enfermé l'eau dans un couloir.
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Notre réalité, c'était l'ignorance, la très vieille superstition. "Mourir de vieillesse", c'était tout le fatalisme d'un monde coutumier de l'usure, du déclin. Image archaïque qui préférait à la rude explication causale une formule vague mais paisible, où s'étalait notre soumission résignée au cycle du vivant.
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