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Critique de Charliebbtl


« Incompris », c'est sans doute l'adjectif qui décrit le mieux les frères Goncourt à la lecture de cette biographie, car il les a accompagnés toute leur vie durant, ou du moins en ont-ils été convaincus. Pour comprendre cela, il suffit de penser à ce que l'évocation de leur nom suscite chez nos contemporains :

- les Goncourt, c'est avant tout le nom du prix qu'ils créèrent pour récompenser un jeune auteur pour son premier roman (même là-dessus, on finira par trahir la volonté d'Edmond, une fois trépassé) ;
- c'est également les auteurs de romans naturalistes comme "Germinie Lacerteux" (sans doute le plus connu d'entre eux) ou "Madame Gervaisais" ;
- c'est, bien entendu, les auteurs de ce fameux "Journal" que beaucoup connaissent sans en avoir finalement lu la moindre page. Ce "Journal" dans lequel les deux frères consignaient, à quatre mains, avec ardeur et souvent causticité, tous les griefs qu'ils reprochaient à leurs proches ou relations ;
- c'est enfin un couple indissociable au point qu'on finit par en oublier leurs prénoms même si Jules et Edmond furent un peu les Jules et Jim du XIXe siècle, Catherine en moins.

Et pourtant, Jules et Edmond de Goncourt, ce fut plus que cela. Comme le rappelle avec raison Pierre Ménard, ce sont, tout d'abord, deux frères issus d'une aristocratie de fin de siècle mais dont ils ne réussirent jamais vraiment à se départir, au point de vivre un peu leur vie comme un deuil de l'époque tant regrettée du XVIIIe siècle. Face à la médiocrité de leurs contemporains, ils n'auront de cesse de se réfugier dans leurs souvenirs d'enfance et de famille à travers leur goût des grandes dames telles Marie-Antoinette ou la du Barry, auxquelles ils consacrèrent deux de leurs oeuvre. L'ameublement de leurs différents logis est d'ailleurs également le reflet de cet amour inextinguible pour ce siècle passé. En somme, les Goncourt ont toujours eu l'impression d'être nés trop tard et d'avoir vécu à une époque qui n'était pas la leur. Difficile dans ce cas de se montrer objectifs face à leurs contemporains.

Et c'est le moins que l'on puisse dire car, un peu aigris de ne pas réussir à percer dans les milieux littéraires et à voir leur talent d'écrivains largement reconnus, Jules et Edmond semblent, à travers leur "Journal", régler leurs comptes avec ces êtres dénués de goût, sans se douter un seul instant que cette rédaction, sorte de récréation vespérale, sera ce qui leur permettra, outre-tombe, d'atteindre le panthéon de l'histoire littéraire. Journalistes, romanciers, dramaturges, esthètes, finalement, on ne leur accordera jamais la reconnaissance tant souhaitée et le peu d'aura qu'ils réussiront à récolter sera dû à la peur de leurs « victimes » de voir son nom ou ses propos rapportés dans l'ouvrage tant redouté et dont le Tout-Paris ne cesse de parler en catimini.

Et pourtant, Pierre Ménard rappelle combien les Goncourt furent des précurseurs : sans eux, Zola et le courant naturaliste n'auraient jamais été ce qu'il est devenu, même si Edmond ira jusqu'à s'imaginer avoir été spolié, sans doute à tort, par l'auteur des Rougon-Macquart. de même, si « style artiste » il y eut, c'est aussi à eux qu'on le doit (et nos dictionnaires actuels peuvent aussi en témoigner). Alors, on peut effectivement ne pas y voir un grand intérêt littéraire mais ce style est resté tout de même dans les annales et l'on doit reconnaître que sans eux, des oeuvres comme "A Rebours" de Huysmans n'aurait sans doute pas eu la même saveur.

Une chose est certaine, une fois la dernière page de cette biographie tournée, vous n'oublierez plus jamais les frères Goncourt car, derrière les auteurs blessés de ce manque de reconnaissance tant désiré, se cachent deux êtres humains qui vécurent leur vie en faisant preuve d'une détermination sans faille et d'un désir de marquer leur temps coûte que coûte. Bon nombre d'auteurs auraient sans doute jeter l'éponge à leur place. Et que dire de ce lien insécable qui unit les deux frères, malgré la disparition prématurée de Jules ? On ne peut rester insensible face à la douleur qui semble avoir habité voire hanté Edmond jusqu'à la fin de ses jours et que même Pélagie, la servante dévouée, ne parviendra à atténuer, tant ces deux frères ne faisaient finalement qu'un.

Au final, une biographie qui vous dévoilera des facettes de la vie de ces deux auteurs un peu oubliés de la littérature et de l'enseignement scolaire et sans doute sacrifiés au profit d'autres élevés au rang de « monstres » littéraires.
Lien : https://mespetitsplaisirsamo..
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