Livre reçu grâce à l'opération Masse Critique.
Tout cela ressemble à une partie de poker. A la table, les joueurs confirmés s'observent mais ne disent rien, jouent en espérant qu'une bonne étoile les guide vers le succès. Là-dessus vient un homme qui ne connaissait pas le jeu, le découvre, commet plusieurs maladresses et finalement essaie de retirer ses billes avant de ne plus en avoir. Cet homme, on pourrait penser que c'est Donizetti, un journaliste qui n'a de sa profession que le nom puisqu'il travaille pour un organe d'Etat, lorsqu'il découvre qu'il n'est que le benêt de service dont on se sert pour sécuriser le transport de valises aux contenus extrêmement importants.
Si Donizetti n'a pas le courage de s'opposer à ce système, ou de réclamer une plus grosse part du gâteau, c'est d'abord parce qu'il ne soupçonne pas la taille du gâteau. C'est aussi parce qu'à Caracas, la violence est omniprésente : enlèvements en plein jour, coups de feu, meurtres sont le lot quotidien et, dès le début du roman, Donizetti reçoit un avertissement : devant chez lui, une mère et son fils ont été abattus. Donizetti est donc un homme ordinaire qui survit dans une ville et dans un Etat où rien ne se passe normalement, où rien ne se dit mais où tout se sait. Pour ajouter à tout cela une atmosphère pesante, le journal dans lequel travaille Donizetti est supervisé par des membres importants d'organisations militaires et paramilitaires, parmi lesquels figurent les commanditaires des expéditions des valises que convoie Donizetti.
C'est le hasard qui replace sur le chemin de Donizetti son ami d'enfance, Manuel. Ancien animateur de radio, Manuel est seul depuis que Felix, son compagnon (mais homme marié) lui a demandé de vivre ensemble. Adepte d'un culte familial pour sa tante, Manuel est aussi un inconditionnel de la boxe dont il connaît l'histoire. Ca tombe bien, la narration se fait justement sur le rythme d'un combat où, round après round, les adversaires se cherchent, se testent, se blessent, paradent et, finalement, essaient de donner le coup fatal. La boxe, c'est aussi une leçon : ce n'est pas toujours le favori ni celui qui mène le combat qui le gagne forcément.
Pour ces deux hommes, qui ne semblent pas taillés pour affronter les milices et la corruption généralisée du pays, certains combats sont des chemins à suivre. Lorsque Donizetti comprend que sa famille est en danger et qu'il est le dindon d'une farce gigantesque, lorsque Manuel comprend que la vie qu'il a péniblement construite n'existera bientôt plus par la seule volonté politique du Commandant (dont on devine qu'il s'agit d'
Hugo Chavez), les deux hommes vont tâcher de trouver une porte de sortie et de gagner un ticket pour une nouvelle vie.
C'est peu dire que la description de Caracas par
Juan Carlos Mendez Guedez donne de la ville une image peu flatteuse. Plus encore, c'est le pays entier qui semble souffrir d'une gabegie généralisée. Dans un pays pareil, laissé à la dérive, la débrouille est encore le meilleur moyen de s'en sortir. Cela peut passer par de petits arrangements jusqu'à l'organisation d'un crime organisée, où la théorie du ruissellement est ici comprise de manière très concrète : car
les valises contenant de l'argent destiné qui à des mafias, qui à des organismes ou organisations politiques d'extrême-gauche, sont ponctionnées par chaque étage de l'organisation. Chacun se constitue ainsi un petit pactole en cas de coup dur. Et, justement, les rumeurs sur l'état de santé préoccupant du Commandant est l'un de ces coups durs qui bouleverserait le pays.
L'amitié renaissante entre Donizetti et Manuel s'accommode ainsi de coups foireux qui visent surtout à procurer aux deux hommes les moyens d'une vie enfin normale. Dans cette sorte d'étude clinique de l'état d'un pays, le Venezuela, l'auteur parvient tout de même à donner à ses mots un côté grand-guignolesque, et qui pourraient nous faire rire s'ils ne montraient pas le caractère tragique d'une situation réelle. Toutefois, on regrette que la narration ne donne pas plus de rythme à cette histoire et le caractère un peu faible du prétexte. Car les explications données, tantôt par Matias, tantôt par le major, n'étonnent que Donizetti et pas forcément le lecteur. le livre demeure cependant intéressant et divertissant : reste qu'il ne figurera pas parmi les livres forts du roman noir.