Les belles choses que porte le ciel

Le premier but du réfugié est de survivre et, une fois que c'est fait, ce but initial est vite remplacé par les ambitions générales de la vie.

Le dôme du Capitole semble planer devant nous et, si je me tourne juste un peu, je peux voir l'œil rouge briller au sommet du Washington Monument. (...) Une sorte de respect silencieux et presque terrifié me submergeait chaque fois que je voyais un de ces édifices. Ma mère et mon père disaient tous deux avoir ressenti quelque chose de similaire chaque fois qu'ils voyaient l'empereur d'Éthiopie - le pouvoir incarné, si l'on peut dire, en un seul homme.

S'il y avait un thème général aux conversations que j'entendais, c'était, Dieu merci, ce n'est pas nous. La reconnaissance, une fois de plus, que seule peut faire naitre en nous la souffrance des autres.

il faut ajouter de la couleur à la vie chaque fois qu’on le peut

Ce sont toujours les premier et dernier pas les plus durs. Nous nous éloignons et tentons de ne pas regarder en arrière, ou bien nous restons de l'autre côté des portes, terrifiés de découvrir ce qui nous attend, maintenant que nous sommes revenus. Entre-temps, nous titubons à l'aveuglette d'une endroit et d'une vie à l'autre. Nous essayons de faire de notre mieux. Il y a des moments comme ça, cependant, où nous ne bougeons pas et où tout ce que nous avons à faire est de regarder en arrière vers la vie que nous avons menée.

Que disait toujours mon père, déjà ? Qu'un oiseau coincé entre deux branches se fait mordre les ailes. Père, j'aimerais ajouter mon propre adage à ta liste : un homme coincé entre deux mondes vit et meurt seul. Cela fait assez longtemps que je vis ainsi, en suspension.

Lorsque la rame entre en gare de Silver Springs, nous ne sommes plus que quatre dans le wagon. Nous sommes harmonieusement répartis à l'avant et à l'arrière, comme si nous avions choisi nos camps lors d'une discussion enfantine et que nous refusions de nous rencontrer au milieu. J'aimerais bien que les trains quasi vides inspirent plus de témérité aux personnes forcées de les partager. Il y a un sentiment de solitude et d'isolement qui surgit avec la prise de conscience que, de tous ceux avec lesquels vous aviez commencé votre voyage, seuls demeurent à la fin vous-même et quelques visages, à l'autre bout du compartiment. Rien que cela suffit à tablir un lien, mais en fait, l'inverse reste toujours vrai. L'espace vide, qu'il s'agisse de quelques dizaines de centimètres ou d'un wagon entier, demeure infranchissable. Peut-être est-ce la gêne due au fait de se retrouver seul, ou la peur d'être découvert, ainsi que le risque de perdre son anonymat, qui nous éloigne les uns des autres, alors même que nous devrions nous sentir enhardis. Je ne parviens même pas à regarder la femme qui se trouve en face de moi, à l'autre extrémité. Cela montre à quel point, dans un train presque vide, je me sens nu.

J'aurais bien applaudi Naomi pour sa ruse. Judith et moi avions tous les deux été roulés, mais cela ne nous gênait vraiment ni l'un ni l'autre. Gagner ce genre de confiance et d'affection chez un enfant revient à découvrir que vous étiez peut-être une meilleure personne que ce que vous pensiez être depuis toujours.

Parfois, pendant que je lisais, Naomi posait la tête contre mon bras ou sur mes genoux et restait ainsi, éveillée et attentive, jusqu'au moment où elle était forcée de bouger. Cela suffisait pour me montrer comment on pouvait désirer beaucoup plus de la vie.

Il faut ajouter de la couleur à la vie chaque fois qu'on le peut.