Nous avons tous eu un beau jour, ou plutôt un beau soir, ce débat un peu absurde sur ce qui caractérise les relations amicales. Être prêt à faire passer l'amitié avant l'amour, confier ses enfants, tout dire même ce qui serait d'ordinaire inavouable, ou encore aider à enterrer un cadavre au fond des bois...
Ces discussions donnent une certaine consistance aux liens qui nous unissent. Elles permettent de nous positionner. de suggérer aux autres ce qu'on serait prêt à faire pour eux et ce qu'on attend d'eux implicitement. Dans la finalité, ça n'a rien de pratique. Si un malheur nous arrive, on aura souvent en tête de se débrouiller seul, ou bien de contacter des services compétents. Bien évidemment, certains proches nous viendront en aide, mais rien ne sera aussi clair qu'un oui absolu ou qu'un non radical. Il n'y a pas de contrat autre que la sincérité qu'on prétend donner et recevoir.
L'Invitation part de cette idée. Un homme approchant de la quarantaine, se séparant de sa compagne, rêvant sûrement les soubresauts d'une jeunesse éclatante, élabore un petit stratagème pour s'assurer de la solidarité de sa bande de copains. L'un des amis, rendu un peu solitaire par un quotidien professionnel encombrant, décide de réitérer l'expérience, et se voit contraint de ravaler sa fierté lorsque ses amis ne sont pas au rendez-vous, à l'exception du pote malicieux qui avait monté la première mise en scène de ce test. L'épilogue se déploie autour d'une fête ironique, cérémonie d'un divorce devenant la célébration d'une retrouvaille pour les deux personnages.
Jim et Mermoux bossent rigoureusement bien ensemble. Objectivement, la BD est parfaite. le trait flirt avec le réalisme tout en jouant parfois dans des registres plus cartoons, avec des personnages haut en couleurs avec des mines comiques. Les dialogues sonnent justes, tant dans le ton employé que dans le cheminement des échanges, alors même que le sujet aurait pu donner lieu à des tirades lourdingues assez aisément. La séquentialité offre une fluidité naturelle, de la première à la dernière planche, si bien qu'on l'impression que le tout ne dure que le temps d'une discussion à la terrasse d'un café. Un anecdote narrée par un pote, à grand renforts de bruitages et de gestes. Quelque chose d'organique dans la narration.
Cependant, si tout est si plaisant et naturel, tout s'oublie un peu vite. En absence d'acmé, si ce n'est le final tout en franche camaraderie irrévérencieuse, on ne retient pas grand chose de la BD quelques heures après l'avoir refermée. On y repensera sûrement quelques fois, comme justement une anecdote lointaine, et qu'on réécrira selon notre inconsciente convenance. Mais difficile de dire si on a véritablement aimé, étant donné la brièveté du sentiment.
Ce n'est pas un défaut. Toutes les oeuvres ne sont pas vouées à être mémorables, et je ne pense pas que la volonté du duo d'auteurs était d'atteindre la postérité avec cette composition. Mais dans la logique éditoriale et commerciale des classements, toujours corrélée à l'économie de notre attention, fatalement, cette BD passe derrière d'autres productions plus marquantes.