Rêves de femmes, c'est l'évocation de l'enfance de l'autrice,
Fatima Mernissi, alors une fillette dans un harem marocain au milieu du XXe siècle. Les souvenirs de la Seconde guerre mondiale sont encore vifs dans les esprits, tellement qu'ils se confondent avec le présent. On y retrouve la petite Fatima, ses parents, oncles, tantes, cousins et, bien sûr, le grand-père, le patriarche de la famille, avec ses épouses. Il y a celle qui vient du Rif, dans le nord montagneux, robuste, l'autre qui vient de la ville puis, enfin, celle qui vient de Maurétanie, aux coutumes étranges mais qui a toujours des histoires originales à raconter. Parlant d'histoires, l'enfance de la petite Fatima est bercée par celles-là, mais surtout par les contes des Mille et une nuits (en particulier celui de la princesse Budur, qui s'est travestie pour protéger sa vie et son existence. Toutes illettrées parce que l'essentiel, c'est d'être belle et de divertir… C'est ce à quoi est destiné la fillette?
Pour l'instant, La petite Fatima ne pense pas si loin. Elle vit une enfance (sur)protégée, enfermée dans une cage dorée, elle s'amuse avec son cousin Samir (encore assez jeune pour aller et venir comme il le veut dans le harem des femmes). En tant que lecteur, nous découvrons cet univers avec elle. La montée du nationalisme en Égypte, la rivalité entre les chanteuses Asmahan et Oum Kelthoum, les escapades au cinéma, etc. Et, à l'image du lecture, Fatima devient une fine observatrice du monde qui l'entoure. La vie en communauté, avec l'épouse principale du patriarche qui régente la vie de toute la famille, les changements apportés par les français, au niveau technologique (radio, cinéma) mais aussi sociétal (fin de l'esclavagisme). Et féministe? Les femmes veulent augmenter « leur pouvoir de séduction, se coiffer avec une frange pour ressembler à l'actrice française Claudette Colbert, ou bien comploter des escapades […] » (p. 169)
Cette reconstitution de ce monde (presque) révolu, l'autrice
Fatima Mernissi a su le créer en fouillant dans ses souvenirs, en choisissant ceux qui sont les plus évocateurs et en les agençant pour en former un tout cohérent. Surtout, son écriture est si fluide. Je n'aime pas ce mot, trop souvent utilisé, mais aucun autre ne semble convenir ici. Pendant ma lecture, c'est comme si je glissais entre les souvenirs et les événements. Et que dire du ton intimiste? J'avais l'impression de faire partie de la famille. de plus, même si l'autrice dépeint un univers différent du mien, passé et étranger (du moins, pour un lecteur occidental, nord-américain de surcroît), elle réussit à le rendre compréhensible, accessible… familier? Décidément, ce mot revient et revient.
Toutefois, plus les années passent, plus elle s'interroge sur le monde des adultes et sa place dans le monde. Elle grandit, commence à s'intéresser à des recettes de beauté, à l'image qu'elle projette (comme ses tantes illettrées). Samir grandit aussi, on l'éloigne du harem des femmes. Fatima elle aimerait également voir ce qu'il y a au-delà mais on l'en empêche. Elle ne comprend pas pourquoi, jusqu'à ce moment, son cousin pouvait fréquenter le harem des femmes ni pourquoi, elle, ne pourrait éventuellement aller du côté des hommes. La réponse des femmes? « L'enfance, c'est quand les différences ne comptent pas. À partir de maintenant, vous ne pourrez plus y échapper. Vous serez gouvernés par cette différence. le monde va devenir impitoyable. » (page 232)
C'est terrible, comme une sentence. du point de vue de la fillette et du mien. Fatima comprend alors avec douleur les différents traitements entre les sexes. Elle ne semble pas s'en satisfaire. le roman se termine sur cette note un peu amère. Toutefois, c'est compensé par le fait que l'histoire a donné raison à la petite Fatima, la grande majorité des femmes ne sont plus contraintes comme l'étaient celles de cette maison de Fez. D'ailleurs, l'autrice elle-même a pu s'en échapper, est devenue sociologue, travaille à l'université. Son oeuvre a été traduite dans une dizaine de langues.