Gardiens des cités perdues, tome 6 : Nocturna

- [...] En tout cas, m’est avis que tu passes un peu trop de temps avec Keefe. Il commence à déteindre sur toi.
- Je sais ! Notre petite princesse a bien grandi, elle commence à montrer les crocs ! s’exclama l’intéressé en faisant mine d’écraser une larme. Je suis si fier d’elle.
Grady échangea un regard avec Sandor avant de pousser un soupir interminable.

- [...] Je me suis souvent demandé si notre espèce se méfierait autant des ogres s’ils avaient un physique plus séduisant à nos yeux.
- Je ne sais pas, hasarda Keefe. Prenez Gigantor : on l’aime bien, lui, en dépit de sa drôle de dégaine.
Sandor leva les yeux au ciel.
- Interrogez n’importe lequel de mes congénères, vous n’aurez que des réponses flatteuses quant à mon apparence.
- Oh, je suis certaine qu’il suffit de demander à Grizel, lança Biana.
Ce qui ne devait être qu’une simple plaisanterie tomba un peu trop dans le mille, comme le confirmèrent les joues empourprées du gobelin.
- Non ! Toi et Grizel ? roucoula la jeune Éclipseuse. Oh… mais c’est trop mignon ! Vous êtes ensemble depuis longtemps ?
- Depuis l’attaque à Havenfield, répondit Sophie à la place de son garde du corps, trop occupé à faire la grimace.
Keefe se jeta sur elle.
- TU SAVAIS QUE GIGANTOR AVAIT UNE PETITE AMIE ET TU NE M’EN AS RIEN DIT ?

La jeune fille était en train de compter le nombre de semaines qui s’étaient écoulées depuis lorsque la rivière entama une courbe, laissant apparaître l’édifice le plus étrange qu’elle ait jamais vu. Aussi grand qu’une maison elfe ordinaire, il reposait sur une immense péniche d’argent, flanquée de deux immenses roues à aubes à l’arrière. La demeure à proprement parler lui rappela le Château de Hurle, avec ses structures métalliques dépareillées imbriquées les unes dans les autres. Certaines, en or, arboraient des formes rondes parsemées de hublots. D’autres, en cuivre, anguleuses, étaient ornées de volets à rivets. Au centre se dressait une pyramide de verre, encadrée de trois cheminées crachant une sorte de brouillard multicolore.

- Tiens, dit Keefe en lui tendant sa cape avant de l’agrafer sous le menton de la jeune fille. Je ne vais quand même pas te laisser te transformer en glaçon !
Elle alla pour protester, mais il secoua la tête.
- Tu n’as pas refusé le cadeau du Fitzster, je te signale.
Sophie fut tentée de lui faire remarquer que le présent en question ne nécessitait pas de sacrifier la santé de son ami. Elle trouva néanmoins une meilleure solution.
Défaisant l’attache, elle s’approcha de Keefe pour lui passer un bras – et une partie du vêtement – autour des épaules afin d’en partager la chaleur avec lui.
- Un point pour Keephie, ricana Tam.
Grady poussa un soupir maussade.

Mais rien ne vint égaler la réaction de Keefe, qui traversa le spectre entier des émotions : poings serrés, larmes aux yeux, le teint livide, son corps tout entier était secoué de frissons quasi électriques. Lorsque vint son tour de parler, pourtant, il choisit d’aller s’accroupir près de Sophie, toujours lovée dans son fauteuil, pour lui demander comment elle se sentait.
- Je vois que vous honorez votre serment, constata M. Forkle avec un sourire triste. Même si je n’en ai jamais douté.
Dans ses derniers instants, ... avait fait promettre à l’Empathe de ne jamais laisser le chagrin briser l’esprit de son amie.
- Je vais bien, insista Sophie. La situation est vraiment étrange. Mais… elle est moins désespérée qu’elle n’en avait l’air, non ?
Keefe poussa un soupir.

Son guide poussa la porte, dont les battants tournèrent lentement sur leurs gonds dans un grincement pour révéler…
- Oh, génial… Encore des marches, maugréa-t-elle.
- C’est ça, Foster, garde ton mordant, ne te laisse pas abattre ! gloussa Keefe.

Devant leur détermination, la Télépathe rassembla son peu d’énergie mentale disponible pour la rediriger vers ses biceps. La vague de puissance du coup fourré vint renforcer son lancer, précipitant le Radiant au centre de l’escalier incurvé, à distance respectable des gobelins. Une déflagration satisfaisante emplit l’atmosphère lorsqu’il heurta le sol.
- QU’EST-CE QUE C’EST QUE ÇA ? s’époumona Sandor.
- Pardon ! s’exclama Sophie tandis que les gardes du corps se mettaient en ordre de bataille. Ce n’est rien… tout va bien !
Grizel leur hurla une réponse, heureusement inaudible.

- J’aimerais bien t’y voir, toi, à gravir des marches en talons, maugréa Linh.
- Laisse-moi t’aider, intervint Dex en posant les mains sur ses épaules pour la stabiliser.
- Je rêve ou tu tripotes ma sœur, Dizznee ? s’insurgea Tam, avant de s’esclaffer devant la réaction affolée du Technopathe. Relax, Dex, je plaisantais !
- J’échange mon frère avec qui veut ! lança Linh à la cantonade.
- Je te cède volontiers les miens, proposa Dex, mais c’est un lot : il faudra prendre ma sœur avec. Sache cependant que pas plus tard que la semaine dernière, ils se sont introduits dans ma penderie pour découper tous mes fonds de pantalon.
- Mes héros ! s’esclaffa Keefe.

Les étroites marches de pierre bleue flottaient dans le vide, sans aucun support ni rampe à laquelle se tenir. La chute semblait inévitable.
- Combien de pas avant que Foster ne trébuche ? lança Keefe. Je prends les paris ! Personnellement, je mise sur la sixième marche.
- Non, elle atteindra la dixième, au moins, contra Fitz.
Sophie les fusilla du regard.
[...]
À la sixième marche, cependant, la cheville de la Télépathe montra quelque faiblesse. Sans l’intervention de Keefe, Sophie aurait basculé sur la gauche.
- Pas un mot ! lui ordonna-t-elle.
L’intéressé ricana : il avait vu juste.
- Ça prouve bien que je te connais mieux que le Fitzster.

Il tira un éclaireur de sa poche, orné d’un cristal d’un rose irisé – une couleur que Sophie avait déjà vue M. Forkle employer – qu’il ajusta avant de tendre une main au Colibri.
La jeune fille s’en saisit, puis ce fut au tour de tout le groupe de former une chaîne. Keefe s’empressa de brûler la politesse à Dex et à Fitz en s’emparant de la poigne de Sophie.