C’est incroyable comme le jugement des autres change selon que l’on est agonisant ou bien portant.
Malgré la peine et la douleur qui m’étreignent, je ne considère pas la mort de Günther comme une tragédie. Après tout, que l’on meurt à 20 ans ou à 80 ans, ce n’est pas ce qui compte vraiment. À l’échelle de l’éternité, ces deux âges ne représentent rien. Ce qui importe, c’est toute la sincérité, la bonté et l’amitié qu’un homme a prodiguées tout au long de sa vie. Nous voulons tous garder Günther en mémoire, tel que nous le connaissions. Un battant, un vainqueur, un ami vaillant et courageux, avec son regard pétillant et ses cheveux ébouriffés au vent.
Seuls les faits déterminent la véracité d’une affirmation. Bien entendu, certains faits peuvent être vrais, sans que personne ne puisse en apporter la preuve. Si, en revanche, une affirmation ne concorde pas avec les faits, elle est incontestablement erronée.
Moi-même, je ne réalisais pas encore la grande chance qui m’avait été donnée de survivre à ce périple. Seuls leurs visages stupéfaits me firent prendre conscience de ce vrai miracle.
J’ai souvent côtoyé des personnes étrangères, dont je ne connaissais ni la langue ni la culture. J’ai négocié et partagé des repas avec elles. Elles étaient serviables et généreuses au point de m’amener à croire en la bonté humaine. J’avais moi-même gardé une âme d’enfant. À présent, je dépendais entièrement d’eux, de leur pain, de leur aide. Pour la première fois de ma vie, j’étais vulnérable, livré aux mains d’étrangers. Même marcher m’était devenu impossible ! Ils le savaient et me le faisaient d’ailleurs bien sentir.
LE VIEIL HOMME : Allah…
Je ne saisis pas un mot de plus.
Il se relève, tourne les yeux vers le plafond, lève les bras au ciel et prêche.
Je fus frappé par la ressemblance entre cette prière et celle récitée par nos prêtres.
Il était rare qu’un participant sorte de ses gonds. Mais, selon le cas, il était considéré comme un goujat, un imposteur ou encore comme quelqu’un qui aime se donner en spectacle.
Il est plus facile de grimper jusqu’au sommet que de monter et descendre pendant trois jours durant entre 7 200 et 7 800 mètres.
Il me suffit de quelques jours en montagne pour oublier les activités et les habitudes qui font mon quotidien et affirmer une toute nouvelle personnalité. Ce qui me préoccupait au plus haut point il y a un mois à peine est aujourd’hui le dernier de mes soucis.
Dehors, il neige. Je reste imperturbablement allongé sous la tente. Je profite de mon séjour dans un antre de glace à 6 000 mètres d’altitude. Le toit de la tente est recouvert de petits cristaux qui miroitent à la lumière de la bougie.
Un nirvana bien à moi !
Les expéditions en haute altitude ne laissent guère de place aux distractions. L’alpinisme à cette altitude et dans un environnement aussi hostile est extrêmement éprouvant pour l’organisme. On est obnubilé par le froid, le manque d’oxygène, l’exiguïté des tentes, la multiplicité des dangers et, plus encore, par la fatigue.
Pourtant, nous continuerons notre ascension pas plus tard que demain. Nul ne nous y oblige, c’est simplement notre désir.