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Critique de berni_29


La légèreté, c'est ce chemin qu'a entrepris la dessinatrice Catherine Meurisse, qui travaillait depuis dix ans à Charlie Hebdo. Ce matin-là, celui du fameux 7 janvier 2015, elle n'a pas entendu le réveil sonner. Un chagrin d'amour, une rupture la veille, le film qu'elle a sans doute ressassé tout au long de la nuit dans sa tête dans ses rêves tous chiffonnés.
Alors, elle est arrivée en retard à la rédaction et c'est ce qui l'a sauvée. Mais comment se reconstruire de ce choc effroyable, ce cauchemar insensé ? Comment vivre, revivre, survivre, tenir debout après ce massacre, l'horreur sidérale ?
Les premières pages commencent au bord d'une plage. Son corps est absent et ses yeux vivent, semblent vouloir s'échapper.
Ici l'humour rattrape toujours la peur de tomber dans ce surplus d'émotion qui pourrait donner l'impression d'étouffer. Ne serait-déjà que dans la préface touchante de Philippe Lançon, autre survivant bien présent ce jour-là au milieu du massacre : « Il faudrait toujours se séparer la veille d'un attentat, ça permet d'échapper par la déprime au devoir d'y assister » ...
La vie se fait lourde, avec ce fardeau qu'il faut porter désormais. Comment s'alléger de ce poids ? Catherine Meurisse n'y arrive pas au début.
C'est comme un entêtement qui revient, tout lui revient ce temps d'avant, ses débuts à Charlie Hebdo, les blagues de Charb ou de Wolinski, les conseils artistiques de Bernard Maris. L'événement aussi, forcément... Il revient sans cesse comme un écho assourdissant. Pas un jour, pas un rêve, pas une respiration sans y penser... Même l'air qu'elle respire devient suffocant.
Comment guérir ?
Catherine Meurisse s'en va à Cabourg à la revue éperdue de la petite madeleine de Proust, puis à Rome, à la Villa Médicis, sur les traces De Stendhal... Elle veut vivre, sentir le syndrome De Stendhal comme un électrochoc qui pourrait enfin la réveiller de cet enfermement, ce syndrome qui dit qu'un excès de beauté déprime...
Elle s'en va dans le vent, dans le soleil, dans la pluie, dans les rues, dans les jardins de la Villa Médicis, parmi les statues de la Rome antique...
Cette déambulation est particulièrement touchante, m'a touché, autant dans le dessin de cette silhouette fragile ballottée par son destin, que par le propos du récit, son chemin, le fil qui sous-tend tout cela. C'est-à-dire survivre, puis guérir, prendre son envol, donner du sens à ce qui reste après cela...
Ce sont ces statuts inertes, abimées, cassées, amputées, figées dans leur histoire, qui lui donnent des ailes, l'aident à se soulever du sol, lui apprennent l'apesanteur. Comme c'est beau la légèreté dans l'apprentissage !
Alors, elle avance, dessine, se dessine, c'est magnifique, c'est superbe, dans cette déambulation légère et parfois cocasse, elle réussit ce tour de magie d'inviter Stendhal à une balade et de déambuler, converser avec lui parmi les statues antiques.
Catherine Meurisse a cette force de convoquer Bach, Baudelaire, ou Vélasquez, quasiment dans la même planche et sans que ce soit lourd. Forcément, c'est ainsi quand on parle de légèreté et qu'elle vient dans les mots et le dessin...
Et puis, il y a toujours une petite phrase décalée, amusante, une bulle d'air, une respiration dans le chemin qu'il reste à parcourir...
Dans cette BD, nous entrons dans l'intimité de Catherine Meurisse, nous entrons dans la chambre où elle dort tout d'abord, nous entrons sur cette page où elle marche silhouette fendue dans le vent. Nous entrons dans ses pas, dans ses pensées, dans ses mots, dans ses doutes, dans ses peurs, parmi les ruines de Rome, dans les ailes aussi qu'elles déploient et alors nous devenons peut-être aussi légers qu'elle. Enfin, je ne sais pas, je rêve que c'est peut-être comme cela la légèreté après tant de violence et de malheur... En attendant, je me laisse porter encore un peu par l'émotion du récit, c'est vrai, je me sens léger comme si le fardeau de tous les bruits dérisoires de l'existence me quittait, comme une transpiration salvatrice...
Alors, il ne reste plus que cette inconsolable légèreté de l'être...
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